vendredi

Une autre nuit

Nico me quitte à l’instant. Il est… 4h12. Il m’a fichu une de ces trouilles.
Réveillée en sursaut par un bruit de tous les diables, des jurons en français, sa voix que je reconnais dans mon demi-sommeil. Réflexe, aussitôt sur mes pieds. Rentrant dans son bungalow, il a voulu enfiler sa paire de savates d’intérieur où une bestiole « grosse comme ça » (geste délimitant la longueur de sa main) faisait sa nuit. Tu le sais pourtant, Nico, qu’il ne faut pas enfiler des pompes sans les avoir piétinées avant.
Il vient chez moi, on s’en fait un, il est déjà totalement défoncé. Il me raconte sa nuit, par bribes, des plans à la Nico dont il ne parle jamais le jour. Insomnie, par moment, il ne sait plus trop où il en est avec Mathias. Il se sent l’âme d’un papillon, voudrait passer sa vie à voyager, à butiner. Refrain mille fois entendu, généralement autour d’un joint, en descente de quelque chose. Plutôt que de se retourner dans son lit, il enfile des fringues et file au centre-ville (si l’on peut dire), sur l’artère où les bars rivalisent en décibels et en racolages humains : girls, ladymen, boyz.
Il erre, suit un couple dans une sorte de bordel, il vient de s’éclater un joint, quand il comprend où il est, l’homme, un Belge, se fait sucer par une gamine, « pas plus de quatorze ans », tandis que la femme propose de boire un verre « en attendant ». Il répète cela : « En attendant, c’est ce qu’elle a dit. »
Il sort, vomit. Croise l’Egyptien, un simplet à la barbichette de Ramsès qui vit de la vente d’ananas dépiautés pour le chaland. Il lui en achète, et aussi un quépa, au moment où il sort son fric, les flics déboulent, c’est la panique, la rue est étroite les stands de souvenirs volent dans tous les sens, des cris. Ramsès a disparu, Nico a le réflexe de s’asseoir à une tablée d’Allemands plutôt que courir. Les flics cavalent, des motos toutes sirènes hurlantes. Les flics en Thaïlande, c’est Ponch et Jon, des ringardos à la Chips (on dit « cultissime », Louna) : uniforme marron supermoulant, lunettes de soleil et matraque. De vrais sex-symbols homos. Mais Nico, les mecs en uniforme, ça a jamais été trop son goût. Fausse alerte, c’était pas pour lui. Ramsès se paiera une bière d’importation et Nico souffle. Tout ça lui a donné faim. Le seul endroit où on veut bien lui servir autre chose qu’un cocktail ou une pinte, c’est dans un bar tout en fluo, le genre moins t’en vois mieux ça vaut. Et effectivement, en attendant son hamburger, il se fait brancher par une ladyman en fin de course, pupilles inexistantes, cernes jusqu’à par terre, démarche tremblante. Il demande un take-away, et le voici. S’endormant finalement sur mon lit.
Il ronflouille.
Sa peau est couleur teck avec une légère rougeur sur les pommettes.
Sa lèvre supérieure se soulève par instants comme s’il allait me confier un secret.
Nico, beautiful lad, nous aurions pu faire le couple le plus trash de ce côté-ci de la planète.

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