samedi

11/01/2003

15H00
Que dire, que penser de ces rencontres douze ans plus tard. Laure et moi nous sommes quittées, nous avions dix-neuf ans. Disparue du jour au lendemain. Pas d’adresse, rien.
Laure est une femme, maintenant, comme je dois en être une. De fines rides naissent sous ses paupières inférieures, courent jusqu’à l’extérieur des yeux et finissent en un joli arc qui renforce son air triste. Nostalgique, plutôt.
Comme sa mère, Laure est partie avec le premier venu, lui a fait deux marmots qui ont aujourd’hui dix et huit ans. Les photos montrent deux têtes brunes bouclées comme leur mère, le regard vif. La plus jeune, presque aussi grande que son frère, prend déjà des pauses lascives. Le garçon a un air buté et provoquant qui ne le rend pas sympathique.
Laure a-t-elle senti? Elle ne s’est pas appesantie sur le sujet, a sorti les photos pour illustrer sa situation – «son radeau», les a rangées aussitôt. Nous étions chez le petit italien de Saint-Michel, resto qui a bien entendu changé de propriétaire et n’a gardé de cette époque que le manque de lumière et les photos aux murs d’acteurs italiens. J’avais pris un quart d’X (inviter Aurélie à déjeuner), j’étais disponible, peut-être même bavarde. Je n’ai pas compris tout de suite dans quel état était Laure.
On dit «dépression», parce que cela qualifie un état pathologique sur lequel on peut interférer si l’on est bien entouré – thérapeute, famille, etc.
On dit «dépression» parce que les magazines comme Glitter donnent les étiquettes nécessaires à la discussion de surface.
On dit «dépression» parce qu’on est convaincu qu’en mettant des mots sur les choses, elles se rationalisent.
Laure a quitté son mari après avoir trouvé une collection de 347 (trois cent quarante-sept) culottes « sales », de tous gabarits, soigneusement rangées dans un coffre aménagée à cet effet (« un habillage de velours, de petits compartiments »), chacune étiquetée d’un code qu’elle a refusé de décrypter – probablement note et date.
Pour reprendre le champ sémantique de Laure, je dirais plutôt « naufrage ».

Je quitte là. Je ne veux pas miner mon samedi soir.

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