samedi

08h55

Aurélie parlait toujours d’un bar : une sorte de code qui permet, au fil de la discussion, de ne pas avoir à préciser de la nature particulière de la soirée en question. Les festivités se déroulent en fait dans un appartement du côté de Pereire, au dernier étage d’un immeuble bourgeois. On s’y présente parrainé, on y est accueilli dans un vestibule à la lumière crue par une femme entre deux âges dépourvue de tout attrait dans sa jupe longue et son chemisier grisâtre (le méchant rat dans n’importe quel dessin animé). Tête basse, elle ne vous donne pas un regard, et vous grince de patienter.

C’est Queen Lol, elle-même, qui fait faire le tour du propriétaire : autour de la pièce principale, sorte de salon aux fauteuils de cuir, aux meubles de bois sombres et aux lourds rideaux, des pièces à thèmes, souvent sombres. La première dite « pièce pop » est une piste de danse où flirtent des couples enlacées sur lesquels pleuvent les carrés brillants d’une boule multifacette. Kitch. La seconde dont la porte est entrouverte, laisse échapper des soupirs et, en se penchant, on voit des corps mêlés sur les canapés. La troisième, Queen Lol propose que nous y revenions si nous le voulons. Elle prévient avec des airs mystérieux : c’est la pièce GB. Elle assure que nul n’est forcé à quoi que ce soit. Tout doit se dérouler dans la plus parfaite convivialité, « la seule règle ici ». Bien sûr, je brûle d’en savoir plus.
Queen Lol pose un becque sur les lèvres d’Aurélie avant de nous souhaiter «bien du plaisir».
Dans le salon principal, devant un verre de Southern Comfort, je détaille Aurélie qui s’est fait harponner par un très bel homme d’une quarantaine d’année, costume de bonne coupe, Church impeccables. Elle porte une robe noire longue, une seule bretelle, les épaules nues, les cuisses découvertes par un drapé fendu. Chic, mais un peu pute. Pile ce qu’il faut pour l’endroit. Cette petite a du talent.
Je ne suis pas la seule à la regarder. Deux femmes la détaillent en chuchotant. Mon regard croise celui d’un homme, plus décontracté que le reste de l’assistance si j’en crois son air sarcastique. Le type aux Church remet la bretelle d’Aurélie d’un geste délicat. Je me demande ce que signifie GB. Je pense : Grande-Bretagne, tortures à l’anglaise, les Anglais à l’honneur, une pièce blindée d’Anglais, j’aime baiser en anglais. Hier c’était peut-être la pièce G remplie de Grecs. Queen Lol en Phileas Fogg du sexe.

Le trait que nous avons tapé avant de partir s’est essoufflé et je m’ennuie ferme. Cette impression qu’au fond, ces endroits sont tous les mêmes. Il faut y être drogué. Autrement vous finissez toujours par vous demander ce que vous foutez là. Vous vous mettez à penser à votre piaule, vos bouquins, le dernier Variety qui vous attend.
Ou : à la dernière fois qu’on vous a dit « je t’aime », en vous faisant l’amour.
OK, on arrête le massacre, direction les toilettes – et discret, pliz, Madame est farouchement antidrogue.
Quand je sors, l’homme décontracté est là qui me toise. Cyril. Enchantée, ce qui n’est pas exact, mais me permet de ne pas rester bêtement à regarder le manège tourner. Cyril est cinglant, un regard au vitriol. Lui aussi s’emmerde : « Je vous aurais bien invité à boire un verre ailleurs si des obligations ne me retenaient pas ici. » Moi pareil, fais-je tandis que nous dansons gentiment dans la pièce pop. Un jazz chanté sucré. Je suis à la limite de lui dire : Allons draguer ailleurs. Une fille sur un tabouret, les cuisses grandes ouvertes, se fait peloter par un type. Un sein sort de son décolleté pailleté, qu’elle pétrit d’une main. Le spectacle m’échauffe et la C joue son rôle d’amplificateur. Chaque fois que nos pas me ramènent face à eux, mon regard accroche celui de la fille, incisif comme si elle me défiait, mais aussi brûlant de plaisir. « C’est ma femme, explique Cyril, mon obligation de la soirée. » L’hôpital qui se fout de la charité. Je lui demande à quel jeu on joue, on n’est pas dans la cour de récré. Il bande contre ma hanche et rit : il a terriblement envie de me caresser.
Je suis chaude alors allons-y. Nous cherchons un coin pour faire connaissance quand la porte de la GB s’entrouvre. On n’y voit rien, mais on entend. Et on sent. Une lourde odeur de sexe, à vomir, un truc comme dans les pissotières d’avant (que je ne connais pas, bien sûr, mais dont Nico m’a beaucoup parlées). Cyril demande si je veux y aller. Je ne sais toujours pas de quoi il retourne, je dis oui. Un sourire glisse sur ses lèvres, salace.
La pièce est dans l’obscurité totale à part un monstrueux spot blanc planté sur une table de bois massif ni haute ni basse. Autour, des hommes, nus pour la plupart, se branlent. Un mouvement parmi eux et une fille uniquement vêtue de cuissardes, bien en chair, longs cheveux sombres et poitrine opulente, grimpe sur la table aidée par un homme. Aussitôt des mains se baladent sur son corps, des doigts se glissent dans ses orifices, elle est à quatre pattes, elle tortille de la croupe, juste à niveau. Un murmure d’approbation dans l’assemblée.
Mes yeux se sont fait à l’obscurité. Ici et là d’autres femmes se font prendre souvent par deux, trois hommes, pendant que d’autres regardent.
Tu n’es pas obligée de participer, dit Cyril en me caressant la nuque du bout des ongles.
Nous choisissons un coin pour nos sapes et comme je me déshabille nous sommes bientôt entourés de trois hommes dont je distingue le sexe bandé. Cyril me flatte la minette tout en me faisant les seins. Il souffle comme une bête, me demande si cela m’excite d’être regardée. Je dois en convenir. Bientôt des mains me caressent un peu partout, me palpent, une langue se mélange à la mienne, je jouis sous des doigts que je ne connais pas. Et quand je m’empale sur un sexe, je mets quelques instants avant de comprendre qu’il ne s’agit pas de celui de Cyril.
Plus tard, nous matons tous les deux depuis l’obscurité. La fille qui se fait enculer sur la table n’est autre qu’Aurélie. Elle retient difficilement ses cris, ses yeux se perdent dans la folie de son plaisir. Des types se branlent dans ses cheveux, son corps luit de sperme.

Las, Cyril et moi prenons un petit dej dans un grand hôtel avec vue sur l’aube rosée. Il part retrouver le lit conjugal en me lançant un innocent à bientôt.

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