samedi

Jeudi 12/12/02

22h43
Le sommeil, c’est comme la vraie vie, il est toujours ailleurs quand on le cherche. Si je fume, je vais encore éclater la boîte d’Ovomaltine, je vais pas me lever demain et j’aurais droit à la tronche de la part de Carole toute la journée. C’est déjà assez pénible comme ça, cette saloperie de période qu’on appelle Noël. Déjà ça menace, ça s’agite. Toutes ces coquettes petites boutiques que j’adore, Etincelle, Antoine et Lili, Irié, où on est trois, vendeuse comprise, à l’heure du déjeuner, vont être prises d’assaut. Et il faudra que je me fade un épisode Fnac/Vigin.
Ou: Amazon.

13/12/02

Goethe me relance. Ça me démange. Ce type m’intrigue. Il est affreusement malsain et en même temps, je n’y crois plus à ces types qui vous laissent entendre le pire et ne sont même pas foutus de faire ça à la papa le moment venu. Peut-être pour un plan bagnole, à l’arrache. Je crois que ça me reprend, ça doit être l’approche des fêtes. Ce serait pas la première fois qu’il me vient une fringale inextinguible de cul en période potentiellement propice à la dépression. On ne parle jamais de ce genre de trucs dans Glitter. Ni nulle part, d’ailleurs.

14/12/02

22h55
Affaire Goethe réglée, les anglais ont débarqué plus tôt que prévu. Je vais pouvoir me faire désirer cinq jours de plus. Ce salaud m’envoie des mails à détremper n’importe quelle culotte.

> J’aurais voulu, 8puss, que vous voyiez comment j’ai préparé ce petit trou – oui, mon
> étudiante a finalement cédé via un habile jeu de langue. Et ce ne serait pas mentir que de
> vous avouer qu’au moment fatidique, celui qui aurait dû m’absorber corps et âme dans
>mon plaisir, je pensais à vous, à ces mots par lesquels je vous exciterai. C’est en vous
>imaginant, femme sans visage, au récit de mes aventures amoureuses, que je jouis en sauvage, et sans ménagement pour le trou novice qui m’accueillait.

Je crois que, plus que le reste, c’est le vouvoiement qui me fait de l’effet. Et ce petit côté Laclos.
Je vais encore avoir du mal à m’endormir.

16/12/02

Aurélie fait ses premiers pas en rédaction. Cette fille, du haut de ses 22 ans, a décidé que le monde serait un jour à ses pieds – mais n’a-t-on pas tous pris ce genre de décision un jour ou l’autre ? Carole la gouinasse a percé depuis longtemps la fausseté de ses airs timorées. Peut-être même qu’il y a déjà quelque chose entre elles – pas de preuve dans ce sens, cependant.
Extrait des propositions d’Aurélie pour le sexe-test du numéro de janvier (censé pimenter la déprime post-fêtes), qui nous a déclenché un fou rire, à Béa et moi, en pleine conf.
Je cite de tête:

«Il m'arrive de simuler mon plaisir pour en finir au plus vite
La masturbation, je dis pas non
Il m’a déjà fait des propositions qui m’ont fait rougir
Je réprime mes pensées érotiques
Il est bête, mais je l'aime
Le sexe, tout le temps, à toutes occasions
Le cunnilingus est meilleur accompagné de la pénétration d’un sextoy
Il m'est arrivé de désirer sans sentiment»

Explications: cette petite cochonne, la faute à son jeune âge, a du mal à prendre de la distance avec sa propre expérience. Pour elle, tout ce qui porte jupe concourt forcément pour les catégories Petite Salope, Salope, Chaudasse. Le profil de la lectrice lambda (25-30 ans, célibataire ou en couple, sans enfant, urbaine, classe moyenne à supérieure, fashion victim, et qui rêve de partouze tout en refusant l’étroit passage à son jules) lui est à peu près aussi familier que les mille et une manières de cuisiner le poisson en Arctique.
Carole, qui ne peut pas regarder Aurélie sans surchauffer, n’a visiblement pas envisagé un instant qu’elle n’avait qu’un petit pois dans le crâne. Un gentil petit pois, très sexy, et même d’après ce que j’ai compris, pour moitié consacré au cul (l’autre moitié à sa carrière ?) – mais tout ça ne laisse pas beaucoup de place au minimum nécessaire pour être capable d’écrire des putains de tests à la con, particulièrement quand notre propre mag en produit par pelletées et qu’il n’y a qu’à pomC/pomV.

C’est con: en même temps, ça m’embête de rigoler d’Aurélie. Merde, ça remonte pas à si loin la dernière soirée qu’on a faite ensemble. Je crois même que c’était y a pas un mois la dernière fois qu’on s’est retrouvées en soirée sur le même mec.

Déjeuner en coup de vent (comme d’hab), avec Chloé. Macrobio: plancton, carottes nouvelles et ouies d’un poisson certifié. Le tout dans une sorte de clinique sur la porte de laquelle on a écrit en tout petit « Restauration diététisme». Comprenez: «Vous entrez ici dans un art minimaliste»
Chloé, chemisier Prada crème à mini-jabot, jean Melting Pot, escarpins Burberry vert jaguar vernis (à mourir, les escarpins), et besace en cuir souple Isabel Marant, plus pâle que jamais. Elle assure qu’elle s’est calmée avec la coke, que c’est sa récente promotion à la rédaction en chef Mode de Fashion qui la met sur les rotules. « Juste le temps d’avoir les rennes bien en main », assure-t-elle entre deux tomates cerise. D’ailleurs, elle a déjà « remercié » trois pigistes depuis qu’elle est en poste. «Dès qu’il y a une ouverture, je te fais signe», promet-elle les deux index tendus vers moi, comme nous nous quittons devant le restau. J’espère bien, Chloé, avec toutes ces copies que tu as pompées sur moi au CFJ, ces dossiers auxquels tu t’es contentée de rajouter ton nom, ce ne serait que justice, non? Espérons juste que tu seras un peu plus influente maintenant que tu es à ce poste.

Dix minutes sous la flotte, pas de taxi à la tête de station. Il y en a un qui s’arrête, mais non, il me laisse plantée là. De quoi entretenir mon répertoire d’insultes.

17/12/02

Il y a de plus en plus de gros. Surtout des femmes et des enfants. Au Monop, la femme devant moi, à la caisse avait des cuisses grosses chacune comme ma taille (pas que je sois filiforme, pourtant). Est-ce mécaniquement qu’elle n’a circulé entre les deux caisses que de biais ? Elle serait passée de face mais juste. Vêtue de Reebook fitness, d’un collant noir à trois bandes et d’un sweat englobant Puma (une manière de ne pas mettre en vitrine le trop-plein), elle n’avait sûrement jamais vu une salle de sport.
(Pas que je sois sportive, pourtant.)

Un taxi, vieux monsieur arabe qui chantonne sur des airs de Trénet. Sur son tableau de bord, une photo de famille autour d’une table de fête, au premier plan des paires de petits aux yeux noirs écarquillés surmontés d’adorables tignasses.

Mercredi 18/12/02

20H49
J’échappe au plan Noël en grande banlieue cette année. C’est le tour de mon père et de Christine. Trois jours dans la villa de Carry envahie des neveux et nièces de ma belle-mère. Bruyants mais au moins je peux m’éclipser, disparaître quand bon me semble alors qu’avec ma mère et son chef de cabine, c’est tout de suite des discours à n’en plus finir.

23H25

Une réponse, cette fois intéressante suite à mon annonce sur le site des trentenaires nostalgiques de leurs années étudiantes ; un mail de Laure, ma meilleure copine au lycée. A cette occasion, ai feuilleté mon journal de terminal (cf. cahier 13). Deux petites chaudes qui s’ignorent. Secrètement, nous rêvions du pire : du plus trash, du plus dirty, du plus poisseux. On aura tout eu, au bout du compte.
On doit se voir cette semaine. Je ne sais pas si j’en ai envie.
Un mail de Goethe, qui me raconte sa dernière soirée, chez un couple d’éditeurs. Parfois je me demande si nous ne nous sommes pas déjà croisés. Après tout le monde du sexe parisien n’est pas illimité. Son ton est trop irrévérencieux, pas crédible. Je vais faire la morte jusqu’à l’année prochaine.
Demain RTT. Grasse mat = bonheur, puis shopping kdo. On n’a rien sans rien.

20/12/2002

Kdo achetés, empaquetés = mission accomplie.
Pour continuer sur ma lancée, j’ai retrouvé le bodybuildé de la piscine rue de Pontoise. Après ce que je l’avais allumé la dernière fois, il n’a pas mis longtemps à me brancher. Pas le coup du siècle mais le mec est plutôt bien pourvu et son petit appart sous les toits donnant sur la Seine plutôt sympa. Surtout, je pars la libido un peu apaisée.
Dernier jour de boulot cocasse. Le déjeuner de Noël très arrosé a mis des couleurs aux joues de Carole. Assise face à elle, Aurélie, également un peu pétée n’était pas discrète. En faisant négligemment tomber ma serviette, j’ai pu voir son pied sous la jupe de Carole. Je ne sais pas pourquoi, j’en ai ressenti une pointe de jalousie. Pourtant, Aurélie n’a jamais été ma maîtresse si ce n’est occasionnellement (« l’occazione fait la cochonne », comme disait un boyfriend d’Ibiza). En partant, elle m’a pourtant branchée pour une des fameuses soirées d’une amie (Lola? Lila?) pour le nouvel an. Je me vois assez mal partouzer avec Carole. A voir donc.

21/12/2002

Mon père est en grande forme. C’est un plaisir de le voir au milieu de la famille de Christine. Plus conviviale et simple que nous autres n’avons jamais été. Il regrette juste que Mado ne soit pas là. Et ses petits-enfants. Quand Christine est entourée d’une ribambelle de minus, il aimerait pouvoir profiter des deux seuls siens, on le comprend. Quoi que pour ma part, ils ne m’ont pas manqué. J’adore ma sœur mais j’ai parfois l’impression que ce que j’aime en elle appartient au passé. Vieux débat.

22/12/2002

Longue balade de bord de mer avec papa et Christine. Un excellent thé dans une librairie salon de thé. Mistral sec, froid, et en même temps, leur bien-être à tous les deux est tellement irradiant que je me sentais ouatée. Il y a bien longtemps que cela ne m’est pas arrivé.

Veille de fête et de dimanche oblige : tout le département est à l’hyper, remplissant des chariots de pains ronds de seigle prédécoupé, de tranches de saumon fumé sous vide, boîtes de marrons glacés, rouleaux de papier pour empaqueter des dizaines de voitures téléguidées, jeux de société, Harry Potter dernière version, paniers de savons et bains moussants.
Christine parvient sans trop d’encombre au miel, doit renoncer aux steaks de thon vu le canevas de chariots dans lequel il faudrait se faufiler, profite d’une trouée inattendue pour attraper cinq baguettes et deux gros campagnes, et sprinte via le rayon désert de nourriture casher jusqu’à une caisse. C’est pas gagné, vu la queue, mais on sait, elle comme moi, qu’on vient d’échapper au plus fort du courant. On remonte un affluent.
La caisse puis la bagnole. Et sortir de là.

21H50
Dans ma petite chambre, avec ces vieux bouquins qui traînent sur les rayonnages d’une bibliothèque branlante. Avec Lex nous occupions cette même chambre et l’étroitesse du lit nous fournissait tous les prétextes pour nous frotter un peu plus l’un à l’autre. Je revois tout, comme à chaque fois, mais je ne pleure pas. Je me déteste plutôt. Pourquoi encore revenir sur ces vieilleries. A l’heure qu’il est, Lex doit être en train de baiser sa femme en silence sous le sapin, la porte de la chambre du môme ouverte, on ne sait jamais.
Je n’ai pas répondu à Goethe, mais il ne m’a pas relancée pour autant. La trêve des fêtes pour toute personne mariée?

23/12/2002

10H20
Kevin, le cousin américain mormon, est arrivé avec, surprise, sa promise, une Américaine aux cheveux qui rebondissent sur ses épaules comme dans une pub de shampoing. Elle ne parle pas un mot de français mais n’est pas avare quand il s’agit de sortir ses grandes dents pour en faire des sourires.
17H05
Bon, c’est vrai, quand je l’ai vu avec sa blonde, j’ai cru que Kevin était passé au plan pantoufles-sex-once-a-week. Mais : soit il s’emmerde déjà profondément avec Colgate, soit il n’a juste rien changé à sa vie – suivant sa queue, dans la direction qu’elle lui pointe.
Walk this way.
C’est l’heure de la sieste dans la maisonnée, un grattement à ma porte et Kevin entre, fermant d’emblée le verrou. His goodlady is sleeping. Le sujet comment tu vas depuis la dernière fois s’épuisant, on passe aux retrouvailles du corps. Kevin fait de la planche à voile dans les trois heures par jour, il est du genre galbé. Le contact de son torse me met immédiatement en ébullition. Kevin a les doigts vicieux. Il aime tourner autour des choses, les effleurer, les titiller, les irriter. Je me retiens pour ne pas crier. En fait, je me rends compte que ça fait des semaines que je n’ai pas bien joui. Je dégouline, que j’en ai presque honte. Et quand enfin je prends sa queue dans ma bouche, c’est avec une espèce de soulagement, comme si je savais qu’enfin j’allais être satisfaite, totalement satisfaite. L’empalement vaut le détour, ma chatte remplie, les mains expertes m’excitant les seins, pelotant généreusement mon cul. Orgueil ou illusion, j’ai le sentiment qu’il ne baisera jamais si bien la toute-en-dents.

24/12/02

15H30
La totale de Noël : préparation du chapon, épluchage collectif de multiples légumes, courses de dernières minutes. Les enfants sont excités au possible mais Alexa, l’une des filles de Christine, réussit assez bien à les canaliser en organisant des jeux.
Au CFJ, y avait une fille comme ça, Carine, le genre déléguée de la classe depuis qu’elle est née, organisant tout de la soirée au week-end sportif en passant par des sorties culturelles. Pleine d’idées, toujours partante… Et toujours seule. Alexa est bien accompagnée de son mari mais quand on voit le temps qu’il passe dans ses coups de fil à Madrid, Recife, Porto Alegre ou Valence (il fait dans l’import-export de matériel informatique), on peut se demander si elle n’est pas de la trempe de Carine. Sexuellement, en tout cas, je l’emmènerais bien avec moi dans une de mes virées. Elle est assez bombasse (quand elle ne s’occupe pas des mômes elle fait des longueurs à la piscine municipale) et un peu arrangée, elle doit être terriblement canon.

17H18
Toujours mignon, et sans arrière-pensée, Kevin m’a ramené un petit joint d’une herbe qu’un de ses copains fait pousser sous le soleil de la côte Ouest. On a fumé sans même se toucher. C’est pas que l’envie manquait mais Email-diamant pouvait surgir à tout moment.
Longue discussion avec Christine, qui s’inquiète de ne pas me voir recasée depuis Lex. J’ai pris mon air bonne fille, pas inquiète, fataliste et convaincue au fond, que le prince charmant était déjà en chemin. Je n’ai berné personne.

25/12/02

04H50
La totale de Noël (bis): cadeaux sous le sapin, «oh!», «ah!», à l’ouverture des paquets, enfants effondrés au milieu des papiers cadeau deux heures plus tard, bûche fondue dans les assiettes.
Les coulisses de Noël : échauffés par notre tête à tête stérile de l’après-midi, plusieurs échanges furtifs dans la cuisine, au moment des paquets. Alors que je ramasse un bouchon de champagne, je me rends compte qu’il bande sous la nappe. Je le caresse au-dessus du pantalon. Il est éméché, tout le monde l’est : j’en profite.
Plus tard, dans le couloir vers les toilettes, il me coince contre le mur, sa main, sous ma jupe, franchement, sa langue dans ma bouche. Nous manquons d’être surpris par un môme. Je retire ma culotte dans l’éventualité qu’on se recroise… La soirée n’en finit plus. L’espoir renaît quand Portail-d’ivoire tombe de sommeil et d’alcool. Puis les uns après les autres, jusqu’à Kevin qui fait mine de monter se coucher en même temps qu’Alexa.
Je suis bien trop excitée pour ne pas jouer les pensionnaires. Je tourne dans ma chambre, une BD, un Libé. Soit il s’est effondré lui aussi et je serai bonne pour me calmer toute seule, soit je ne me suis pas gourée et il va venir. J’ai une sorte d’instinct pour les hommes, en tout cas pour les hommes engagés (peut-être développé après ce que j’ai enduré avec Lex). Je ne suis donc pas surprise quand Kevin passe la porte.
Nous n’échangeons pas un mot. Il sort sa queue, soulève ma jupe et me prend sans préliminaire, ses yeux dans les miens. Calmés. Nous fumons, il a le bon goût de ne pas me parler de sa promise, mais de planche à voile, des concours qu’il fait, de son boulot d’animateur de plage. On remet ça juste après et il me dit avant de partir, que c’était la dernière fois, qu’ils prennent un avion demain pour Paris. Je me garde de lui dire que moi aussi. Je suis pour les happy ends.

19H50
Fatiguée de ce périple dans le Sud. Contente pourtant d’avoir vu mon père et Christine heureux. Et du bon temps pris avec Kevin. Moins pensé à Lex que les autres années à cette période. C’est donc possible…
Un mail de Laure me souhaitant un joyeux Noël. Et de Nico aussi. Bizarrement, je rêve de lui en ce moment. Ça faisait combien de temps que je n’avais plus de nouvelles? Sept, huit mois?
C’est ça, Nico, joyeux Noël. Et bonjour chez toi.

27/12/2002

00H50
Carole en vacances, bonheur, douceur : Béa respire. Deux jours à peine travaillés, ralentis. En fait, en un sens, c’est pire. Si on a le temps de réfléchir, on réfléchit. Et si on réfléchit, on pense à ce que c’est de faire du féminin ; une rengaine, des articles lus mille fois, chez nous, ailleurs – la recette des truffes au chocolat à Noël, et le régime d’avant l’été. Peut-être la raison qui expliquerait que tout aille vite dans ce milieu.
J’ai à nouveau envie de me droguer, de me mettre à l’envers. Difficile d’envisager le nouvel an autrement.

29/12/2002

Je pouvais pas attendre les soldes, juste le french knicker Agent Provocateur. Rien que de me voir dedans, je mouille.
Pas de nouvelle de Goethe, (un gentil garçon donc, qui regagne la couche conjugale au moment de Noël). In Mum We Trust.

31/12/2002

Brand New Toy. Un joli petit film pour se mettre en bouche. Julia ne peut jouir que si elle a un de ses jouets en elle. Il peut y avoir tous les plus beaux sexes du voisinage, il lui faut son coup de vibro – son intimité, si l’on veut, sa part secrète. Joli petit film amateur, et je donnerais cher pour passer un moment avec le soi-disant mari de Julia.
Aurélie passe me prendre dans deux heures. Un bain, et il sera temps. Une nouvelle année s’achevant dans la luxure et l’oubli de soi.
Comme il se doit.

01/01/2003

16H25
A l’école c’était toujours avec une attention particulière teintée d’étrangeté que je notais la date sur mes cahiers, en début d’année. J’imagine que c’est pareil pour tout le monde. Un mystère d’enfant, en fait la perception mal cernée du temps qui passe. Et, en filigrane, celle de notre propre mortalité.

Mon corps meurtri, et mon âme… Descente, descente, attendre la fin.

02/01/2003

Sainte Carole, merci de nous avoir accordé le repos de cette fin de semaine.
Mal aux muscles, tout le corps, comme si j’avais rebondi d’un rail d’autoroute à l’autre la nuit durant.
Par où, par quel excès commencer ?
Je suis repue, et vannée, malgré une nuit de treize heures. A peine puis-je taper sur mon clavier.
Aurélie arrive en retard d’une bonne heure selon son habitude. Pour se faire pardonner, elle paye deux traits d’une excellente coke dont elle me cède un demi. L’ai-je dit, j’adore cette fille, pleine de ressources, elle ira loin, nous devons tous croire en elle.
Nous prenons par pont de Saint-Cloud, direction la Normandie. Aurélie conduit sa Smart comme elle parle, sautant d’une file à l’autre sans se soucier de son environnement. Elle raconte la soirée dans un bar privé où elle a rencontré Lola, dite Queen Lol, organisatrice de la fête de ce soir. J’ai déjà entendu l’histoire une demi-douzaine de fois mais je la laisse parler (j’y viendrai en son heure). La coke est excellente, nous roulons vers le bout du monde.
On arrive à peine avant minuit dans une maison pas immense mais mignonne, pierre de taille, au milieu des bois. Une vingtaine de voitures, plutôt haut de gamme, à côté desquelles la Smart d’Aurélie a des airs d’insecte. Les douze coups sonnent comme nous nous repoudrons le nez dans une salle de bain à l’ancienne – baignoire à pieds, miroir biseauté, robinetterie d’un autre siècle.
Toute la maison est éclairée à la bougie, des ombres gigantesques dansent sur les murs et c’est comme si la douceur de la lumière déteignait sur le son, feutré malgré le nombre de participants. Queen Lol est une grande fille très maigre qui fait penser à Morticia dans la famille Addams : le même teint pale et les cheveux également raides et noirs. Elle porte une robe longue qu’au premier regard on pourrait croire en lamé, mais s’avère totalement transparente. Dans chaque pièce, une cheminée, des convives qui plaisantent autour d’un buffet, une musique entraînante sur laquelle se trémoussent quelques-uns. Bref, un réveillon qui aurait presque l’air normal.
Sur les coups d’une heure, une jolie blonde entame un strip-tease, seule au milieu de la pièce où nous nous trouvons, moi et une demi-douzaine d’autres. Elle a l’air totalement partie. Enfin les choses se précisent. Le spectacle suspend la conversation mortellement ennuyeuse que j’ai avec un DRH et un chargé d’affaire. Le premier écarquille de grands yeux en sirotant son verre, l’autre me glisse ses commentaires à l’oreille – qui sont beaucoup plus passionnants que tout ce qu’il a pu dire auparavant. On en vient à se trémousser de concert, l’ambiance est chaude autour de la fille, surtout qu’une autre l’a rejointe, elles sont toutes les deux à moitié nue et se caressent dans la lumière du feu de cheminée. Mon cadre bande et à ce que je peux en sentir, il serait dommage qu’il jette la poudre aux moineaux. Il m’entraîne sur un canapé dans une entre-pièce. Nous sommes dans le noir, à peine éclairés par la lumière des deux pièces à gauche et à droite. Le passage perpétuel m’excite, les mots ne sont plus d’actualité. Je n’ose pourtant pas aller trop loin et c’est mon partenaire qui sort sa queue et m’invite à la sucer. Je suis bientôt entre ses jambes tandis qu’il m’encourage en me caressant les seins que j’ai terriblement durs. Je voudrais qu’il me les broie. Un autre homme s’est assis à côté de mon partenaire et spontanément, je libère sa queue tout en continuant de sucer l’autre.
Un bon shoot de baise et de pénétrations, de caresses et de foutre.
Plus tard, Aurélie me roule une pelle comme je m’empale sur mon chargé d’affaire et quand sa langue se retire de ma bouche, je suçote un cachet. « X », chuinte-t-elle en faisant traîner la syllabe. Elle est déjà vrillée.
Plus tard encore, je suis assise sur les genoux d’un homme qui me caresse les seins machinalement en fumant. Au centre de la pièce, sur un épais tapis, trois femmes dont la maîtresse de maison, se gougnottent lascivement. Nous ne sommes plus nombreux. La plupart sont partis ou dorment. Ça sent le foutre le tabac et la sueur. J’ai très envie de rejoindre ces filles.
J’ai fait envoyer une trentaine de roses à Queen Lol. Happy new year, chère amie. Un seul vœux pour 2003 : que le foutre coule à flot.

04/01/2003

Déjà le parfum de luxure s’éloigne, comme un rêve dont les images filent au petit matin.
Goethe me propose un rendez-vous pour «bien commencer l’année». Baltringue! Tu crois que je t’ai attendu?

06/01/2003

Premier jour de bouclage. Au ralenti. Echange de regards avec Aurélie, elle est dans le même état que moi : incapable de reprendre le train de la réalité, le rythme de la vie quotidienne. Y a dû y avoir du grabuge entre elles, si j’en juge à la tête de Carole, ce matin, en conf. Le minimum, aboyé après un minimum de vœux. Et pas un regard pour Aurélie. Si elle savait, la Carole… (mais peut-être qu’elle sait, justement)
Hier, déjeuner avec maman et Pierre. Pierre est endurant. En plus du jet-lag de son boulot, il trouve encore du temps pour aller avec maman à des émissions de radio et de télé, des one-man-show, et des spectacles de Hossein, ou quoi que ce soit qui puisse l’occuper. En fait, il l’encourage à s’occuper. Peut-être a-t-il compris que si elle glissait dans l’oisiveté, il trinquerait encore plus.
Chloé, verre post-dîner au Buddha – ce qui me permet d’éviter de bouffer des algues (même les sushis, elle ne veut plus en entendre parler). Elle pose une enveloppe sur la table, montre d’un regard les toilettes. Un petit trait vite tapé, et bienvenu : je n’avais pas envie de voir Chloé ce soir, pas envie de subir son débit, ses coq à l’âne, ses anecdotes haute sphère. Elle ne peut pas créer de poste en rédaction pour le moment, mais je pourrais commencer à piger, disons, au printemps. «Bon, sous un pseudo, tu comprends, je ne veux pas d’ennuis avec Carole.» Je comprends. «Et, disons, à la rentrée, tu t’installes dans ton nouveau bureau, à trois portes de moi. » D’accord Chloé. «T’es pas superenthousiaste pour une futur rédactrice de Fashion.» Ça fait combien de temps que tu me dis que tu vas me faire bosser?
Bon, d’accord, je ne suis pas superenthousiaste. A tout le moins, je pourrais y mettre un peu du mien. Ne serait-ce que pour les 5% de chances que ça arrive.
(Aller 10%).
Un joli chauffeur de taxi, pas plus de vingt-cinq ans, conduite souple, musique soft, pas un mot de trop.

07/01/2003

1H37
I dreamt a dream! What can it mean?
And that I was a maiden Queen
Guarded by an Angel mild:
Witless woe was ne'er beguiled!
And I wept both night and day,
And he wiped my tears away;
And I wept both day and night,
And hid from him my heart's delight.
So he took his wings, and fled;
Then the morn blushed rosy red.
I dried my tears, and armed my fears
With ten-thousand shields and spears.
Soon my Angel came again;
I was armed, he came in vain;
For the time of youth was fled,
And grey hairs were on my head.

William Blake The Angel

Miss you Lex.

08/01/2003

00H45

Nouvelle pèche en nocturne au Louvre, galerie Richelieu, « Peinture et arts graphiques, écoles du Nord ». Tout ce que je déteste. Ce qui me laisse le loisir pour m’appesantir sur les hommes seuls. Bonne heure : pas de classes braillardes, de profs s’étalant comme de la mauvaise confiture. Juste des individus, des couples aussi (on ne coupe pas à ce genre de phénomène). Et là, errant, s’arrêtant, revenant en arrière, d’une salle à l’autre – au point que nous nous sommes même percutés sans que j’y sois réellement pour quelque chose, Carl, Américain à Paris, subjugué par à peu près tout ce qu’il voit (y compris moi, ça tombait bien), en mal de bavardage (ça tombait mal, mais il y a longtemps que je sais qu’il y a toujours un prix à payer), chercheur en science artificielle (sorry I don’t understand).
Le problème, particulièrement avec les Américains, et particulièrement au Louvre qui draine un public moyen (j’entends par là, qui a reçu son lot de lieux communs sur la France, l’art et donc, les Françaises), c’est qu’il faut en passer par les traditionnels clichés romantiques, ne pas trop bousculer les choses au risque de passer pour une professionnelle. Je me suis donc fait désirer jusqu’à la galerie Denon et l’école française (beaucoup plus intéressante).
Moyennement, donc, ce qui l’a convaincu, c’est quand on s’est assis devant Le Bain turc, de Ingres, et ses langoureuses baigneuses nues suintant un érotisme à portée de doigt, fleurant les parfums de corps chauds et les fragrances exotiques. Je l’ai vu troublé, mon gentil Américain, et j’en ai profité pour jouer un coup bas. Appuyée sur mes mains posées derrière mon cul, feignant une extase, moi aussi, intellectuelle, je m’étais arrangée pour que ma jupe remonte juste au-dessus de mes bas de laine.
Il a vu. Je le sais parce qu’après rien n’a plus été pareil.
Il était pressé, il fallait sortir. Puis le musée allait fermer, anyway.
Je l’ai pris par le bras, en bons camarades, a drink ? Yes, why not. Et, coup de chance, son hôtel était à deux pas. Alors qu’il s’engageait vers le bar, je lui ai susurré que nous pourrions simplement faire monter une bouteille dans sa chambre.
Avec ce genre de types, il faut avoir son temps. Je l’avais.
J’ai continué à l’exciter dans l’ascenseur, me frottant à lui de la plus pute des façons. Il bandait à déchirer son fute.
A peine la porte de sa chambre fermée, je lui ai dit que c’était son jour de chance, et, à genoux, j’ai pas attendu qu’il allume la lumière pour lui tailler une pipe. Je savais que j’avais quelques minutes avant l’arrivée du room-service et tout s’est passé comme il faut. Carl a cessé de dire No, il a gémi, bafouillé des yes, go on et il avait déjà tout lâché quand le garçon d’étage a frappé.
On pouvait boire notre drink tranquilles et se préparer aux choses sérieuses.
Je l’ai laissé parler de, je ne sais plus – une ancienne petite amie, une carriériste, trop pressée, rien de très original. Le champagne était bon, je me suis fait un petit joint pour me calmer, ce qui l’a d’abord ulcéré, mais merde, après tout j’étais dans mon pays, je connaissais les us et coutumes. Très vite, ça lui est revenu. Peut-être parce que j’avais dégrafé le premier bouton de mon chemisier, et qu’un de mes bas était un peu descendu.
Il s’est tu, et je suis venue coller ma chatte à son visage et il a glissé ses mains sous ma jupe en me traitant de hum… je ne le dirais pas – j’aime trop ce genre de mots doux en anglais. Il semblait soudain plus à l’aise. Explorant ma culotte d’une main, il me caressait les seins de l’autre. J’aime bien les Américains pour ça. Une fois décoincé, on peut faire de grandes choses avec eux. Bon, on ne s’est pas éternisé non plus, je ne vais pas dire que c’était le coup du siècle. Plutôt comme un petit trait d’héro en descente d’exta – ce qu’il m’aurait fallu après la soirée du nouvel an.
Je crois que je vais bien dormir.

09/01/2003

21H50
Nouvelle relance de Goethe, qui en perd son latin, pauvre chéri. Faudra voir.
Aurélie me propose un plan exta. Il ne faut pas. Son sexe-test n’est pas passé finalement.
Béa dit que Carole reste au bureau jusqu’à des heures pas possibles. Elle y dormirait même depuis quelques jours. Et c’est vrai qu’elle a la tête de celle qui vient d’enterrer père et mère. Ça la fiche mal pour une rédactrice en chef de féminin. (Pas autant que le look bonne sœur recyclée – j’arrête d’enfoncer des portes ouvertes).
Au cinéma avec Audrey, ma copine qui bosse à Libé, Les Larmes du tigre noir. Ça la fait rire, ce genre de connerie kitch, et moi je ne suis pas contre.
Y a des fois, j’ai l’impression qu’Audrey attend la fin sans aucun espoir de rédemption. Elle n’est pourtant pas triste au quotidien : une fille qui se marre pour un rien, un rire franc, contagieux. Physiquement, elle a été servie de longues jambes de gazelle, et comme moi, elle ne craint pas de manger ou de boire, ne connaît ni le macro-bio ni les 17500 régimes répertoriés dans le manuel de la parfaite pouffe. Mais derrière, loin derrière, comme sur une autre rive, tapi dans l’ombre de son naturel actif et bon enfant, se terre une tristesse immense, douloureuse. Et ça, les mecs ont une sorte de capteur ultra-sensible pour le détecter et s’en tenir à distance.
Je sais de quoi je parle.

10/01/2003

8H10
Thomas W, fantôme de ma nuit. Hier je l’ai juste croisé à la sortie de l’ascenseur. Et: son regard, ses blonds cheveux, son parfum (Eternity?).
Je suis dans un hammam, avec Audrey, nous nous faisons masser par de grosses femmes asiatiques. Je raconte les dernières histoires du bureau. Quand je tourne la tête, Audrey est debout, yeux fermés en extase, la masseuse derrière elle lui broie les seins. Elle dit juste: «Enfin…» Je suis écoeurée. Pas vraiment par le spectacle, plutôt de ne jamais pouvoir parler à quelqu'un. Ma masseuse a disparu et on m’appelle au haut-parleur, je suis convoquée à l’entrée. Je n’ai qu’une minuscule serviette pour me couvrir. Quand j’arrive, Thomas W est derrière le guichet. Il me dit que je suis punie pour avoir trop parlé. J’ai très peur qu’on me renvoie. Au lieu de quoi, il me fait mettre à genoux, les avant-bras en appui sur un petit banc. Je pense qu’il va me couper la tête mais il me caresse les fesses longuement et j’ai très envie qu’il me pénètre. Il me laisse pourtant en plan pour annoncer que je suis irrécupérable.

10/01/2003

10H12
Thomas W, à la DRH, costume croisé froissé, pas rasé – dans le même état que moi?
Ce soir, rdv avec Laure. Trop tard pour les exta d’Aurélie?

11/01/2003

15H00
Que dire, que penser de ces rencontres douze ans plus tard. Laure et moi nous sommes quittées, nous avions dix-neuf ans. Disparue du jour au lendemain. Pas d’adresse, rien.
Laure est une femme, maintenant, comme je dois en être une. De fines rides naissent sous ses paupières inférieures, courent jusqu’à l’extérieur des yeux et finissent en un joli arc qui renforce son air triste. Nostalgique, plutôt.
Comme sa mère, Laure est partie avec le premier venu, lui a fait deux marmots qui ont aujourd’hui dix et huit ans. Les photos montrent deux têtes brunes bouclées comme leur mère, le regard vif. La plus jeune, presque aussi grande que son frère, prend déjà des pauses lascives. Le garçon a un air buté et provoquant qui ne le rend pas sympathique.
Laure a-t-elle senti? Elle ne s’est pas appesantie sur le sujet, a sorti les photos pour illustrer sa situation – «son radeau», les a rangées aussitôt. Nous étions chez le petit italien de Saint-Michel, resto qui a bien entendu changé de propriétaire et n’a gardé de cette époque que le manque de lumière et les photos aux murs d’acteurs italiens. J’avais pris un quart d’X (inviter Aurélie à déjeuner), j’étais disponible, peut-être même bavarde. Je n’ai pas compris tout de suite dans quel état était Laure.
On dit «dépression», parce que cela qualifie un état pathologique sur lequel on peut interférer si l’on est bien entouré – thérapeute, famille, etc.
On dit «dépression» parce que les magazines comme Glitter donnent les étiquettes nécessaires à la discussion de surface.
On dit «dépression» parce qu’on est convaincu qu’en mettant des mots sur les choses, elles se rationalisent.
Laure a quitté son mari après avoir trouvé une collection de 347 (trois cent quarante-sept) culottes « sales », de tous gabarits, soigneusement rangées dans un coffre aménagée à cet effet (« un habillage de velours, de petits compartiments »), chacune étiquetée d’un code qu’elle a refusé de décrypter – probablement note et date.
Pour reprendre le champ sémantique de Laure, je dirais plutôt « naufrage ».

Je quitte là. Je ne veux pas miner mon samedi soir.

12/02/2003

14H50
OK, j’ai dérogé, je suis entrée dans l’interdit, j’ai rappelé l’Américain.
Impossible de passer ce samedi soir seule.
Impossible de passer ce samedi soir avec un casse-machins. Le chargé d’affaires du nouvel an, il fallait que je sois super perchée. Le temps d’un verre et je vomirais.
J’aime bien les Américains, leur côté puritain. Et celui-ci, en plus, est scientifique. Il rougit pour un rien, ne sait plus, gauche comme un ado. Alors j’en rajoute. J’avais mis ma tenue achetée pour le réveillon – boxer rosé et caraco assorti, sans soutien-gorge, il va de soi – simple mais efficace. D’abord un verre au bar de son hôtel, et moi qui ai envie de faire la conversation comme d’avaler un sceau de flageolets. Alors je fais oui, oui (s’il y a une chose que je fais parfaitement, c’est oui, oui), et à chaque fois que je croise une jambe sur l’autre, sur ce tabouret de bar, ma jupe remonte un peu plus haut. Il met du temps, mais une fois harponné, il a du mal à se contenir. Et là, je pense : Peut-être que j’ai des a priori. Après tout, c’est le genre de mec qui ne m’emmerderait pas, je trouverais du travail dans un mag américain – ou ailleurs, la plupart du temps, il serait dans ses bouquins et il ne souffrirait pas de mes à-côtés. C’est la chaleur, je crois, et le deuxième Southern Comfort.
Nous marchons sur Rivoli, petites rues des Halles, je le flatte, il m’embrasse, je le caresse, la french touch, il bande illico, gémit. Nous reprenons notre balade, il dit que je dois venir le voir chez lui, qu’il me présentera à… Là je décroche. Il est temps de passer à autre chose avant que ça dégénère. Un couple compose un code, disparaît, je retiens la porte, je dis come with me. Veuillez vous essuyer les pieds, dit une plaque en émail. La porte se ferme derrière nous, le rire de la femme s’envole dans les étages. La langue de mon Américain fouille ma bouche, ses mains sous mes dessous. Je la lui sors, elle est dure, je n’ai pas le temps de la sucer, mon boxer à mes pieds, le cul à peine protégé par mon manteau du froid du mur, il a vite fait d’enfiler son bout de plastique, il me prend, grogne, il n’est plus timide, il me baise comme il n’a jamais baisé. Demain il pensera que je suis la femme de sa vie, qu’il doit me ramener dans ses bagages. Il dit : you bitch et je me mords les lèvres pour ne pas crier.
Je dis: Call me tomorrow, le temps qu’il se souvienne qu’il n’a pas mon numéro, je suis déjà dans un taxi.

18H43
347 culottes. Ça m’a fait redescendre en ligne droite.
Et moi, combien ça m’en ferait de slips et de caleçons.
J’ai eu envie de me vomir.
Ma première fois, j’avais 17 ans, et Laure a été ma seule et unique confidente. Elle m’en voulait un peu parce que j’avais passé le cap et pas elle. Ses parents la vissaient, elle était bien plus dévergondée que moi. Elle m’a vite rejointe, et dépassée. Elle s’envoyait en l’air avec les frères B. (21 et 23 ans), et bien sûr, un jour, ils lui ont demandé si ça me dirait pas de me joindre à eux. De là ont démarré nos aventures érotiques. Laure faisait le mur, et quand elle se faisait prendre, elle se retrouvait bouclée à la cave. De sorte que dès qu’elle voyait le jour, elle n’avait qu’une envie, en profiter. Pour autant, elle n’était pas idiote et faisait cela en dehors du lycée. C’était pas compliqué, il suffisait d’aller traîner dans les bars étudiants aux alentours de Sorbonne. Ou mieux, Jussieu. A cinq stations du bahut.
Bientôt on s’est retrouvées dans des fêtes pas possibles avec des drogues à gogo. On baisait tout ce qui nous passait par la tête, on était les reines.
Du jour au lendemain, Laure a disparu. Déménagé, m’a dit la concierge. Père muté en Italie. J’ai reçu une lettre, six mois plus tard. Elle y disait qu’elle avait rencontré une bande géniale, qu’elle envisageait de faire une école de cirque, elle voulait partir sur les routes. Elle m’invitait à une fête, ses parents retournaient pour une semaine en France et elle entendait profiter de la maison avec piscine pour «l’orgie of the year».
Bien sûr j’y suis pas allée. Et bien sûr j’ai plus eu de nouvelles. Pas plus que j’en ai donné.

23h42
Pour la semaine à venir:
- inviter Aurélie à déjeuner;
- parapharmacie (baume à lèvres, coton, démaquillant, capotes);
- prendre rdv chez l’esthet;
- tél à Nico (le faire ce coup-ci);
- Soldes: Thomas Pink, Esprit, La Perla et même Chantal Thomass.

14/01/2003

Chloé en interview sur Fashion TV : robe décolleté drapé noir (Moschino Cheapandchic?), bracelet Dior Ring, et toujours ce teint de revenante (malgré la tentative de miracle de la maquilleuse). Tendances de l’hiver à venir, etc. Nothing special.

Finalement, Aurélie me laisse entendre qu’elle a été avec Carole. Comme pour s’excuser: «Bon, pas longtemps, je te rassure.» Queen Lol, notre hôtesse du nouvel an, propose que nous passions dans son fameux bar, où Aurélie a fait sa connaissance. Elle m’a trouvé «délicieuse».
Demain première étape de la traversée du désert annuelle en solitaire.
Demain, nous fêterons trois ans d’un célibat bien peuplé.
Et en plus j’ai la crève et mes règles.

15/01/2003

11h23
Trois ans que Lex m’a quittée.
Plus tard
Mon lit, sans réconfort pourtant.
Je sèche l’école. J’ai des soupes en brique plein le placard, du pétard plein les tiroirs, des DVD pour pas penser. Je n’y penserai pas.

I wish I had not got a cold,
The wind is big and wild,
I wish that I was very old,
Not just a little child.

Somehow the day is very long
Just keeping here, alone;
I do not like the big wind's song,
He's growling for a bone

He's like an awful dog we had
Who used to creep around
And snatch at things--he was so bad,
With just that horrid sound.

I'm sitting up and nurse has made
Me wear a woolly shawl;
I wish I was not so afraid;
It's horrid to be small.

It really feels quite like a day
Since I have had my tea;
P'raps everybody's gone away
And just forgotten me.

And oh! I cannot go to sleep
Although I am in bed.
The wind keeps going creepy-creep
And waiting to be fed.

“A Day in Bed”, Katherine Mansfield

13h12
Le journal de JP Pernaut est un vrai cirage de pompes de vieux.

13h50
Qu’on me confie une rubrique, des piges, QUELQUE CHOSE, avant que j’égorge sur le champ toutes les redchefs de Paris.

17h02
Après-midi Ab’Fab et pétards. Enfin quelque chose qui tient la route. Voilà ma maîtresse à penser, je me prosterne devant vous O Patsy. Consommation effrénée, absence de conscience blond platine, smoke, smoke, smoke, men, men, men, drugs, drugs, drugs. Darling.
Sûr que si Lex voulait la sacro-sainte trilogie «môme, baraque, et BBQ dans le jardin», il lui fallait quelqu'un d’autre.

20h50
Troisième grog, j’ai chaud à la tête. Dans le miroir, mes oreilles ne dérougissent pas.
Des miroirs que je n’ai pas pris la peine de couvrir comme une provocation à moi-même. Je le regrette.

Goethe a pris le parti de faire comme si je ne lui restais pas muette :
> Mes insomnies me ramènent invariablement à vous, 8puss, à votre corps fantasmé, que j’effleure du bout des doigts pour le faire trembler de désir, en attendant de sentir le parfum de votre miel.
> Mon sexe dans une main, je vous devine de tous mes sens, je vous appelle pour vous >soumettre et enfin jouir de vous.

16/01/2003

Carole est aussi garce que grosse, elle finira aigrie abandonnée débordant d’un fauteuil roulant que nul ne voudra pousser. Aujourd’hui, elle s’en est prise à la stagiaire qu’elle a traînée plus bas que terre en conf, alors même que Samuel, le directeur de la rédaction, nous faisait l’honneur de sa présence. Lui s’en fout certainement, mais la gamine a bien dû rester aux toilettes à sangloter pendant au moins une heure. Je lui ai envoyé Aurélie; elles ont sensiblement le même âge. Elles ne revenaient pas. Aurélie n’était-elle pas en train d’user de ce genre d’arguments, disons plus intimes, que je lui connais? Ça a fini par tellement me prendre la tête que je suis sortie déjeuner plus tôt.
Thomas W et son regard en hameçon pour trentenaires célibataires, une chemise légèrement ouverte laissant voir les trois poils du haut de son torse. Je les lui aurais bien épilé du bout des lèvres.

Quoi faire?
- organiser un partenariat temporaire entre AbMen et Glitter, un événement, pour nous permettre de bosser ensemble (1er solution, classique);
- Method Press met en place une tombola annuelle des célibataires pour l’ensemble de ses salariés (pas loin de 1500, pigistes compris) ; je soudoie les organisateurs, au pire, je leur fais don temporairement de mon corps pour qu’ils truquent les résultats (2e solution, mais on sait tous qu’on ne peut pas compter sur son employeur);
- Je feins l’évanouissement juste devant son bureau, en m’arrangeant pour 1) cogner à sa porte en tombant et 2) que ma jupette remonte innocemment haut.
(3e solution, la plus envisageable?)
Un taxi bavard qui commente les infos d’Europe «numéro un». Applaudissant à l’idée du Medef de monter l’âge de la retraite à soixante-cinq ans, tout en se plaignant du nombre d’heures insensé qu’il passe dans sa bagnole. Bosser jusqu’à soixante-cinq ans pour payer sa retraite, soit; encore faudrait-il qu’il y en ait, du boulot.

17/01/2003

19h49
Mon Américain doit être dans son avion, à l’heure qu’il est. So long, darling, take care.
Liste de choses à faire de dimanche à peine entamée. Je vais boire un verre avec Nico.

3h57
Nous avons grandi dans une idée d’opulence, et néanmoins de sacrifice. Nos parents, enfants de la guerre, eux-mêmes élevés dans l’idée de privation, ont vu leur potentiel de consommation grandir sans faille, une plante se tendant vers un ciel à jamais dégagé, nettoyé de ses vices. Et c’est ce qu’ils nous ont transmis : tout allait continuer, tout irait mieux encore si toutefois nous conservions en mémoire la valeur des choses. La maison avec jardin, le travail intéressant et bien rémunéré pour les plus courageux, l’aisance pour les chanceux.
Et nous voici à court de tout, sans horizon, sans plus de valeurs désormais rognées par des cartes de crédit, des soldes débordantes, un calendrier rythmé par les diverses foires inventées par des marchands sans tête.
Que s’est-il passé ? Quel trou noir a absorbé notre futur virtuel, les promesses de notre enfance ?
Echec de l’opération ballerines Tara Jarmon. Plus ma pointure.

18/01/2003

17h00
Une femme grosse qui rhabille son petit saucisson de gamin au milieu du trottoir, bloquant le passage dans les deux sens sans la moindre gêne.
Ceci me rappelant une frasque du Nico de la grande époque quand Paris était à nos pieds (du moins le croyions nous, et c’était là tout ce qui comptait – cf. cahier 16 pour la version originale). Un cocktail au musée d’Orsay, organisé par Ma’ame Chirac – à l’époque, pour une cause quelconque. Il y a là des princesses, une de Jordanie, une d’un lointain archipel au nom imprononçable, des femmes de, des artistes à la solde de l’Etat, et nous – Nico, deux de ses fans de l’époque, moi.
On déchire les petits fours, on se fait une bataille de mini-gâteaux discrètement d’abord, des traits aux toilettes (cf. la tête des deux blondinettes qui se recoiffaient quand on est sortis tous les quatre d’une cabine) et quand y a plus rien à boire, on se barre. Sur le chemin du métro, sur un de ces trottoirs larges comme mes hanches, une petite Américaine en jogging tellement difforme qu’on dirait un pouf de salon Adidas, ne trouve pas son hôtel. Grommelle sur les Français, est totale upset, au téléphone avec sa mère (ou : une copine, son binôme pouf de salon). On propose de l’aide, on fait des signes, bon d’accord, alors peut-être on peut passer : sans réaction. Nico nous fait signe de reculer. Il prend son élan, court quelques foulées avant de balancer son 44 au cul de la dame. Qui en lâche son téléphone. Qui glisse dans le caniveau. Sous la roue d’une voiture. Vole en éclats.
Comme notre rire aux fans de Nico et à moi.

J’adore cette histoire.

Déjeuner avec Laure, en forme, puis shopping.
Laure amoureuse de son psy. Juste pour pouvoir penser à quelqu'un avant de s’endormir. Je l’avais accompagnée chez un gynéco suite à une party décadente, et elle n’avait rien trouvé de mieux que de lui faire des avances. Il nous avait fichues dehors avec pertes et fracas. Le plus drôle, c’est que nous étions dans son quartier de serre-têtes en velours, de duffle-coats bleu marine et de jupes plissées (je ne savais pas que ce genre de fringues se portaient, en vrai). La secrétaire et les mémères en attente, se cramponnaient à leur Longchamp, jaunes d’effroi. Une de nos plus belles crises de rire, nous sommes nous rappelées après une énième bière, au Vieux Colombier.
Je n’ai pas eu le cœur de lui résister, elle a envie de faire la fête, elle me rejoint plus tard pour la soirée au Gipi, la boîte semi-privée de Mathias. De toute façon ce sera fun mais gay – je ne me voyais pas l’embarquer dans un plan cul.

Plan provoque à Goethe, de quoi lui faire regretter de me garder pour le digestif.

Dans les soirées gay, on peut oser au niveau de l’habillé déshabillé. Un très bon sujet dans – je ne sais plus, Marie-Claire ? Glamour ? Numéro ? – et donc, ce soir, guêpière sous chemisier transparent, gel pailleté, bas opaques.

L’un des torts de Laure, à mon avis, c’est qu’elle a voulu changer du tout au tout en se mariant. Considérant qu’il y avait un avant et un après. Une vie de patachon qu’il fallait clore, et une vie maritale, sacrée, normée, à laquelle il fallait se convertir – sa scolarité chez les sœurs doit y être pour quelque chose. Alors que si elle avait joué carte sur table depuis le début au lieu de faire la jeune fille de bonne famille (son mari ne sait rien de nos frasques), sa vie aurait été différente.
Oui, a-t-elle admis et elle s’est tue.
Le silence s’est prolongé, et avec lui des lambeaux de regrets ont bientôt flotté autour de nous.
J’avais mis carte sur table avec Lex, ou plutôt, je n’avais pas eu à le faire vu qu’on s’est rencontrés, revus, fréquentés à des soirées cul. Je l’avais repéré parce qu’il était fumeur et qu’en plus, il ne fumait que du bon. On le voyait toujours à un moment de la soirée, accoudé à une fenêtre, en retrait, ou sur un balcon, dans un nuage d’afghan, d’orangebud ou de purple. Fumée bien plus fraternelle que n’importe lequel des coïts que nous avions pu échanger.
Nous n’avons même pas remis en cause nos pratiques sexuelles quand nous nous sommes installés ensemble. Il allait de soi que chacun venait avec son bagage d’habitudes. Dans un sens, nous vivions comme des colocataires. J’ai souffert, bien sûr, de le sentir disparaître dans d’autres relations. C’était comme ça, un jeu qu’on envisageait sans lendemain, un couple sans réelle existence que le moment présent, l’illusion d’être jeune pour toujours. Eternelle histoire.

19/01/2003

On l’a bel et bien rempli
Mais le tonneau a perdu son fond
Sans eau dedans, la Lune
Ne peut s’y loger.

Je me recouche. Plus tard…

15h22
J’aime Mathias. Et Nico devrait l’aimer un peu plus. Il ne se rend pas compte à quel point ce mec est généreux, inventif, drôle, courtois, beau. Costume Yamamoto, box VIP pour Nico et ses amis, boissons à volonté. Si Nico était moins accaparé par ses problèmes et son propre nombril, il serait le roi de Paris.
S’il y en a une, en revanche, qui a su jouir de sa nuit, c’est bien Laure. Une véritable ado, dansant dans la mousse par-dessus la tête les yeux fermés. C’était sa première soirée gay depuis toutes ces années. Laure a plaisanté : dans ce genre d’endroit, une hétéro sexaddict deviendrait dingue. « D’ailleurs, j’ai bien failli en violer un ou deux », a-t-elle ajouté. Elle dansait, s’arrêtait pour boire un verre et se régaler les yeux, repartait. Cela m’a ravie de la voir ainsi.

18h00
Laure passée en coup de vent impromptu pour le thé. Et nous voici par terre sur le tapis, la tête à l’envers du lendemain de fête, riant de la moindre bêtise en fumant des joints. Douce descente. Demain, y a école.

20/01/03

Nouvelle saison sur la planète Glitter. La Reine Carole VEUT:
- Arrêter de fumer;
- Qu’on fasse remplir nos notes de taxi avec date et heure;
- Tester tous les prototypes de médicaments détox attendus pour la saison 2003-2004;
- Un dossier sur «En salon ou à domicile: les nouveaux services des esthéticiennes.»
Pour présenter ce dernier, elle s’est levée dans sa robe orange et a dévoilé sur le paperboard, tel Casimir surgissant enfin, un graphisme représentant, si j’ai bien compris, la demande des différents services proposés en esthétique – ça allait du nettoyage de peau au déplacement en urgence, de jour comme de nuit – Votre Minou Rasé à Toute Heure. Cette mise en scène pour nous faire avaler qu’il s’agit du sujet du siècle.
La question est: Pourquoi Carole se donne-t-elle tant de mal, pour simplement passer un sujet qu’on a dû faire une demi-douzaine de fois sur les cinq dernières années?
Béa dit qu’elle prend des cachets pour dormir, et que ça lui donne des crises d’euphorie durant lesquelles elle s’enflamme, n’est plus vraiment elle-même. Comme ça ne dure jamais, il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter.
Ouais. Bof.
Pour moi, la réponse est: le CUL.
Juste un indice : la semaine dernière, Carole prenait rdv avec son esthéticienne, quand elle s’est rendue compte que la porte de son bureau était ouverte – on avait toutes entendue, but who cares ? elle a aussitôt baissé de deux tons et s’est enfoncée dans son fauteuil.
Mon intuition lui a brodé une folle histoire avec une petite esthéticienne à qui elle veut donner sa chance en l’incluant dans un projet fashion (retombées garanties).
Time will tell.
Une chose est sûre. A force de boire de son mauvais café filtre (chaque mug réchauffé au moins trois fois au micro-ondes parce qu’elle oublie de boire), elle a une haleine de cheval.
Nico me propose de repartir avec lui en Asie. Mathias nous rejoindrait. Je lui en veux encore de son silence radio. On ne laisse pas ses amis sans nouvelles pendant cinq mois.
La soirée de samedi m’a échauffée. Tous ces hommes se caressant, se frottant. Cause.
Et donc, effet: rdv au Lutecia avec Goethe. J’imagine que le lundi, c’est le jour où les gosses sont chez leur grand-mère et la femme à son cours de yoga. Je ne suis pas gentille. Je peux être bien pire.

00h50

Je retire tout ce que j’ai dit sur Goethe – à part les couplets sur sa famille supposée, à propos de laquelle je ne dois pas être loin du compte. C’est un gentleman. S’il était une femme, j’aurais dit « une garce ». Après un magnifique dîner italien (encore) de Saint-Germain-des-Prés, au cours duquel il se passionne pour le XVIIIe français et les héros romantiques, nous buvons un verre au VR., un bar cosy sur le boulevard Saint-Germain. Ambiance rideaux lourds pourpre, fauteuils profonds, lumières douces. Sans crier gare, il se lève et me suggère de le rejoindre «en bas» dans quelques minutes. J’ai bien vu qu’il se tramait un truc avec la patronne, je ne m’attendais pas à ça.
En bas, un couloir distribue les traditionnelles toilettes téléphone. Je suis embarrassée. Je me recoiffe, me lave les mains. La porte du fond s’ouvre. J’entre dans une pièce aveugle qui, comme à l’étage, a été tendu d’un velours prune: une sorte de boudoir, à l’éclairage délicat, un miroir et son lourd cadre doré occupant la moitié d’un mur. Assis dans un sofa, Goethe sert un deuxième verre de champagne qu’il me tend.
Son regard a changé: il est inquisiteur. Il me déshabille avec un grand naturel, me fait tourner, marcher (je n’ai gardé que mes talons). D’un geste il m’intime de me pencher en avant devant lui et sa langue vient fouiller mon cul tandis que ses mains agrippent fermement mes hanches. Je me vois dans le miroir, c’est délicieux. A un moment, alors qu’il se regarde comme, à genoux, je le suce, je pense que ce miroir est sans teint. Ce qu’il me confirme plus tard. La propriétaire du VR. est son ex-femme. Ils ont gardé cette complicité. Lui peut utiliser la «backroom» à loisir à la condition qu’elle puisse profiter du spectacle.
Un gentleman, c’est le mot.

Ted: You’re such a bitch.
Bill: Well, thank you dear.

21/02/03

21h03
Journée productive. Finalement.
Coup de fil de Lex. Veut savoir si je n’aurais pas gardé « par inadvertance », cette chevalière qui lui vient de son grand-oncle, celui qui a fait 14, etc. Sans commentaire.
Coup de fil d’Audrey que j’expédie, et finalement j’appelle Chloé – plus comme on place des jetons sur une couleur que réellement convaincue. Bingo, elle décroche. «Incroyable, darling, je parlais justement de toi.» A quel sujet? « Cette salope calculatrice de Frédérique [sa prédécesseur] a promis monts et merveilles à toutes les rédactrices et pigistes mode de Paris. » Sauf à moi. «Je suis dégoûtée, tu m’entends?» Distinguant les syllabes au cas où je suis sourdingue: «Dé-goû-tée. Explique-moi comment on va faire, maintenant, pour travailler ensemble.» Aux chiottes, Louna. Mais quand même: «Ne te prends pas la tête, Chloé, c’est pas comme si je n’avais pas de boulot.» Bien sûr ma chérie, etc. jusqu’au traditionnel «tu peux toujours compter sur moi».
Dans ces moments-là, c’est moi que je déteste le plus: ma crédulité, mon ambition absolument pas ambitieuse, mon côté victime – de la mode, de la presse féminine, du marché de l’emploi, de ma génération, des mecs, de la came, du sexe. Merde.

Réunion sur le dossier «Allergies aux crèmes et parfums». Mimi qui écope d’Aurélie n’est pas loin de craquer. Elle voit bien qu’il lui faudra faire avec. La demoiselle est en place, désormais. Et Aurélie n’y met pas du sien, qui refuse les recherches qu’elles jugent inutiles, dégradantes, stériles. Comment envisager un chemin de fer, élaborer une maquette, trouver des visuels, bref s’intéresser à un sujet inintéressant dans ce genre d’ambiance.
Alors – et parce que je ne suis pas que victime, j’ai posé des vacances : 23 jours. Du 8 mars au 31 au soir. Avec les RTT que j’ai en rade, les heures sup que je ne pointe pas à chaque bouclage, et les vacances que je ne prends pas d’habitude, Carole ne pouvait pas refuser.
Puis, pour dire toute la vérité, elle n’est vraiment pas dans son assiette en ce moment.
23 jours. Thaïlande, plage, jus de fruits frais, soirées flirt, bronzage.
Massage, lagon, fullmoon party, drague.
Drague, drague, drague.
Et: dormir.
Dans la foulée, j’ai pris mon billet, calé sur celui de Nico. J’arrête de lui en vouloir. Quand on part 23 jours à Samui, Thaïlande, on n’en veut à personne.

Taxi: un truc qui dit «chante, chante, danse et mets tes baskets, chouette». Et que votre cerveau essaie de digérer après pendant des heures comme de vieux poivrons.

23/01/03

Longue tchatche avec Nico, du soleil dans nos voix, et déjà des chapelets de projets et de fantasmes (Nico n’a jamais été un homme fidèle).
Relation virtuelle avec Goethe, moi devant le miroir de mon armoire, nue en talons comme l’autre soir. Une jolie quinzaine de minutes.
Au téléphone, Aurélie me demande comment mettre Mimi au pas. Il y a encore des choses qu’elle n’a pas comprises.

24/01/03

08h12
Avec Thomas W, nous sommes en voiture, je le caresse, il dit que nous ferions mieux de nous arrêter. Sur une aire d’autoroute, je le suce et il me dit les plus jolis mots. Plus tard, nous sortons de la mairie, nous n’avons invité personne. Je suis nue sous ma robe blanche, je le lui dis.
Quelqu'un peut-il m’expliquer pourquoi ce mec passe ses nuits dans ma tête?

19h55

Mimi enceinte. Un secret pour l’instant, qu’elle a cru bon de partager avec Béa et moi.
Elle l’a fait seule, elle a 42 ans, elle ne voulait pas passer à côté de ça. C’est ce qu’elle a dit. Sourire. Félicitations, Mimi. Sourire. Bon, on va déjeuner?
Devant le plateau n°4 de sushis, j’ai demandé à Béa ce que Mimi entendait par «je ne voulais pas passer à côté de ça». Neuf mois de nausées, de fringues immondes, de courbatures suivis de quarante ans d’inquiétude et de remises en question, le tout en solitaire. Béa s’est contentée de secouer la tête. On se connaît bien, elle et moi.
Je pense: Il me semblait bien qu’elle avait grossi.
Je pense: J’avais pas rêvé, elle a une tête de cadavre.
Et : y’a des 44 au cul qui se perdent – un boulot pour Nico.
Plus tard, comme un fait exprès, Thomas W à la machine à café. En grande discussion avec un photographe, mais, comme d’hab, ne me quittait pas des yeux. Mes sens en alerte et les images de mon rêve qui défilent – le voile blanc s’envole, la douceur de ses mots, son corps contre le mien.
Je suis triste.

21H32

Il faut que je me reprenne. Aurélie devrait être là d’une minute à l’autre. Mon billet d’avion punaisé devant moi : ça va mieux.
Ces cons de Russes, totalement bourrés dans leur cour, braillant des chants qu’on ne peut pas imaginer intelligents ni rien – juste des braiments dont profite une quarantaine d’appartements (suis-je la seule que ça dérange ?)

08h55

Aurélie parlait toujours d’un bar : une sorte de code qui permet, au fil de la discussion, de ne pas avoir à préciser de la nature particulière de la soirée en question. Les festivités se déroulent en fait dans un appartement du côté de Pereire, au dernier étage d’un immeuble bourgeois. On s’y présente parrainé, on y est accueilli dans un vestibule à la lumière crue par une femme entre deux âges dépourvue de tout attrait dans sa jupe longue et son chemisier grisâtre (le méchant rat dans n’importe quel dessin animé). Tête basse, elle ne vous donne pas un regard, et vous grince de patienter.

C’est Queen Lol, elle-même, qui fait faire le tour du propriétaire : autour de la pièce principale, sorte de salon aux fauteuils de cuir, aux meubles de bois sombres et aux lourds rideaux, des pièces à thèmes, souvent sombres. La première dite « pièce pop » est une piste de danse où flirtent des couples enlacées sur lesquels pleuvent les carrés brillants d’une boule multifacette. Kitch. La seconde dont la porte est entrouverte, laisse échapper des soupirs et, en se penchant, on voit des corps mêlés sur les canapés. La troisième, Queen Lol propose que nous y revenions si nous le voulons. Elle prévient avec des airs mystérieux : c’est la pièce GB. Elle assure que nul n’est forcé à quoi que ce soit. Tout doit se dérouler dans la plus parfaite convivialité, « la seule règle ici ». Bien sûr, je brûle d’en savoir plus.
Queen Lol pose un becque sur les lèvres d’Aurélie avant de nous souhaiter «bien du plaisir».
Dans le salon principal, devant un verre de Southern Comfort, je détaille Aurélie qui s’est fait harponner par un très bel homme d’une quarantaine d’année, costume de bonne coupe, Church impeccables. Elle porte une robe noire longue, une seule bretelle, les épaules nues, les cuisses découvertes par un drapé fendu. Chic, mais un peu pute. Pile ce qu’il faut pour l’endroit. Cette petite a du talent.
Je ne suis pas la seule à la regarder. Deux femmes la détaillent en chuchotant. Mon regard croise celui d’un homme, plus décontracté que le reste de l’assistance si j’en crois son air sarcastique. Le type aux Church remet la bretelle d’Aurélie d’un geste délicat. Je me demande ce que signifie GB. Je pense : Grande-Bretagne, tortures à l’anglaise, les Anglais à l’honneur, une pièce blindée d’Anglais, j’aime baiser en anglais. Hier c’était peut-être la pièce G remplie de Grecs. Queen Lol en Phileas Fogg du sexe.

Le trait que nous avons tapé avant de partir s’est essoufflé et je m’ennuie ferme. Cette impression qu’au fond, ces endroits sont tous les mêmes. Il faut y être drogué. Autrement vous finissez toujours par vous demander ce que vous foutez là. Vous vous mettez à penser à votre piaule, vos bouquins, le dernier Variety qui vous attend.
Ou : à la dernière fois qu’on vous a dit « je t’aime », en vous faisant l’amour.
OK, on arrête le massacre, direction les toilettes – et discret, pliz, Madame est farouchement antidrogue.
Quand je sors, l’homme décontracté est là qui me toise. Cyril. Enchantée, ce qui n’est pas exact, mais me permet de ne pas rester bêtement à regarder le manège tourner. Cyril est cinglant, un regard au vitriol. Lui aussi s’emmerde : « Je vous aurais bien invité à boire un verre ailleurs si des obligations ne me retenaient pas ici. » Moi pareil, fais-je tandis que nous dansons gentiment dans la pièce pop. Un jazz chanté sucré. Je suis à la limite de lui dire : Allons draguer ailleurs. Une fille sur un tabouret, les cuisses grandes ouvertes, se fait peloter par un type. Un sein sort de son décolleté pailleté, qu’elle pétrit d’une main. Le spectacle m’échauffe et la C joue son rôle d’amplificateur. Chaque fois que nos pas me ramènent face à eux, mon regard accroche celui de la fille, incisif comme si elle me défiait, mais aussi brûlant de plaisir. « C’est ma femme, explique Cyril, mon obligation de la soirée. » L’hôpital qui se fout de la charité. Je lui demande à quel jeu on joue, on n’est pas dans la cour de récré. Il bande contre ma hanche et rit : il a terriblement envie de me caresser.
Je suis chaude alors allons-y. Nous cherchons un coin pour faire connaissance quand la porte de la GB s’entrouvre. On n’y voit rien, mais on entend. Et on sent. Une lourde odeur de sexe, à vomir, un truc comme dans les pissotières d’avant (que je ne connais pas, bien sûr, mais dont Nico m’a beaucoup parlées). Cyril demande si je veux y aller. Je ne sais toujours pas de quoi il retourne, je dis oui. Un sourire glisse sur ses lèvres, salace.
La pièce est dans l’obscurité totale à part un monstrueux spot blanc planté sur une table de bois massif ni haute ni basse. Autour, des hommes, nus pour la plupart, se branlent. Un mouvement parmi eux et une fille uniquement vêtue de cuissardes, bien en chair, longs cheveux sombres et poitrine opulente, grimpe sur la table aidée par un homme. Aussitôt des mains se baladent sur son corps, des doigts se glissent dans ses orifices, elle est à quatre pattes, elle tortille de la croupe, juste à niveau. Un murmure d’approbation dans l’assemblée.
Mes yeux se sont fait à l’obscurité. Ici et là d’autres femmes se font prendre souvent par deux, trois hommes, pendant que d’autres regardent.
Tu n’es pas obligée de participer, dit Cyril en me caressant la nuque du bout des ongles.
Nous choisissons un coin pour nos sapes et comme je me déshabille nous sommes bientôt entourés de trois hommes dont je distingue le sexe bandé. Cyril me flatte la minette tout en me faisant les seins. Il souffle comme une bête, me demande si cela m’excite d’être regardée. Je dois en convenir. Bientôt des mains me caressent un peu partout, me palpent, une langue se mélange à la mienne, je jouis sous des doigts que je ne connais pas. Et quand je m’empale sur un sexe, je mets quelques instants avant de comprendre qu’il ne s’agit pas de celui de Cyril.
Plus tard, nous matons tous les deux depuis l’obscurité. La fille qui se fait enculer sur la table n’est autre qu’Aurélie. Elle retient difficilement ses cris, ses yeux se perdent dans la folie de son plaisir. Des types se branlent dans ses cheveux, son corps luit de sperme.

Las, Cyril et moi prenons un petit dej dans un grand hôtel avec vue sur l’aube rosée. Il part retrouver le lit conjugal en me lançant un innocent à bientôt.

25/01/2003

17h46
Thanks God, les jours rallongent et ma pharmacie déborde des meilleures pommades.

26/01/2003

Maman et Pierre à déjeuner. Maman est chiante comme une ado. Elle ne sait pas ce qu’elle veut. La retraite, mais c’est un peu admettre la vieillesse. Elle ne supporte plus ses collègues de la mairie, a l’impression de tourner en rond, les mêmes têtes, les salamalecs avec les élus, les notables du coin. So what ? Ce n’est pas ça son boulot? Pierre est patient, une crème.

27/01/2003

Une vingtaine de roses à Queen Lol.
Quant à Aurélie, il vaut mieux l’avoir à poil sur la table du salon que comme collègue. Du haut de ses six mois de CDI (et de ses 22 ans), elle réclame une stagiaire (A: la DRH, copie à : Carole), prétendant que «si tout le monde faisait son boulot», elle n’aurait pas ce genre de demandes. Elle m’a raconté ça en sortant, avec des airs de boss, la fille qui en a vu d’autres et qui ne va pas s’arrêter sur si peu. A la vérité, par ce genre de manœuvre:
1) elle attire l’attention de la DRH et des postes à responsabilités sur elle; elle est mignonne, aguicheuse ce qu’il faut, elle sème ses graines;
2) elle réduit à peau de chagrin Victoria, sa peu probable rivale, entrée en même temps qu’elle au même poste de documentaliste, et qui n’a rien écrit d’autres qu’une centaine de signes sur un gloss;
3) elle se positionne comme élément dangereux en passant directement par la case DRH et en court-circuitant Carole – qui aura certainement des comptes à rendre sur l’insubordination supposée de ses troupes.
Mauvaise, la gamine, et futée avec ça. A se demander comment elle serait si elle ne jouissait pas régulièrement par chacun des pores de sa peau.
(Une criminelle en puissance?)

Rapide dîner avec Audrey, excellents sushis à Opéra. « It's OK to eat fish 'Cause they don't have any feelings » (Kurt Cobain). Audrey toujours dans son histoire avec cet acteur solitaire qui lui préfère sa chienne épagneule et ses copains de billard. Affligeant. Potins de Libé sensiblement les mêmes que les nôtres. Cadre plus sympa, ceci dit.

28/01/2003

«Tenir l’âme en état de marche / Tenir le contingent à distance / Tenir l’âme au-dessus de la mêlée» JP Resnais
«It's a motherfucker / Being here without you Thinking 'bout the good times / Thinking 'bout the bad / And I won't ever be the same» Eels
«I try to laugh about it / Cover it all up with lies / I try to laugh about it / Hidding the tears in my eyes» Cure

Down, down, down
Mimi-ta-race, voilà ce que j’ai à te dire : on s’en cogne que tu vomisses tes tripes. T’es pas la première et les confidences de femme enceinte, je vais te dire un truc, ça sent le lait tourné et la merde de chiard. Déjà.

30/01/2003

19H56
Carole les yeux gonflés de larmes nocturnes, la bouche cinglante. Fumant plus que jamais.
Béa, lasse.
Aurélie d’une beauté exubérante (à croire que plus Carole se casse la gueule, plus elle embellit).
Philippe, le docu, aussi vivant que Balance et Siaga, les poissons rouges qui nous snobent depuis leur bocal verdâtre.
Et la demi-douzaine de rédactrices lançant des idées de sujet sans idée.
Comme je sors de là résolue à, un lexo et see you tomorrow, Thomas W est là, dans le hall, qui me fait signe. A ses côtés – j’en reste bouche bée – oui, je connais ce mec. Je reconnais son parfum, ses doigts quand on se sert la main: Cyril.
Je pense: il m’a suivie.
Je pense: il y a une erreur de casting.
Et: je me suis gourée quelque part.
Un détail qui m’avait échappé : Cyril M. est consultant en voitures de luxe et travaille régulièrement pour AbMen et Multisports dont Thomas W. est le DA.
Je pense: réagis, dis quelque chose.
Je pense: plus conne que toi, y a pas.
Et: une boîte de lexo et à jamais.
Thomas remarque que je suis pâle : si je n’ai pas déjeuné, je peux peut-être les accompagner. Et là, pauvre baudruche, je me dégonfle. Il y a des fois, je me hais tellement, je voudrais tuer père et mère pour m’avoir imposé ça.
Pauvre fille. Rentre chez toi manger des nouilles.

01/02/2003

19h30
Tout petits, les milieux. Au début, c’est amusant. On démarre dans la vie professionnelle, on voit dans les croisements comme celui d’avant-hier, la confirmation que les racines prennent, enfin, que notre rayonnement s’étend. On croise à une soirée Untel avec qui on a fait ses études et qui est là parce qu’Unetelle l’a exposé dans sa galerie où vous avez atterri, un soir comme un autre, avec une copine peintre et un perché de l’aaaarrrrt. Et vous vous sentez soudain au cœur de tout, oui, implanté, indéboulonnable, une partie de ce monde en mouvement. Underground, hype, so fashion.
Pour un peu, croyez-vous, on vous envierait.
En tout cas, si vous repensez à vous adolescent, vous auriez donné n’importe quoi pour devenir ce que vous êtes devenu.
(Et croiser votre dernier partenaire de partouze sur votre lieu de travail?)

Ted: Are you out of your mind?
Bill: I wish I were.

20h33

Ce week-end s’annonce aussi joyeux qu’une soirée mortuaire entre dépressifs.
Miroirs couverts, téléphones débranchés. Reste le Net, bouée. Juste surnager.

Môme, on apprend que c’est tout droit. Facile.
On sera un jour un grand, on prendra la place de notre mère, notre père. Variante : le cursus scolaire, mathématique. Primaire, secondaire, sacro-saint bac, études, études, études. Ce qu’on ne dit pas, c’est ce qui vient après, quand on a passé toutes les étapes, pris le pli de mettre un pied devant l’autre et de regarder le monde changer autour de soi, comme s’adaptant à nos propres besoins – simplement la finalité de tout ceci.
Alors, quand le cadre scolaire implose, qu’il n’y a plus de repères sur la route, peut-être même plus de route du tout, d’endroit où aller, certains mots – peur, absurdité, solitude, prennent soudain un sens nouveau. Absolu. Ils deviennent pleins d’un sens qui s’élargit d’une expérience à l’autre. Et ils sont bientôt là, comme des éléments de nos vies, des meubles massifs dans nos salons auxquels on se cogne, quotidiennement, à chaque âge un peu plus.

23h47

Aurélie devant ma porte. A sonné pendant dix minutes, pas ouvert. J’avais oublié, et envie de rester seule.
Grog américain 50% de rhum ambré, 20% de sucre, 30% de cannelle, 30% de citron. Enfin, à peu près. Dans ce genre de proportions, ça vous réchauffe l’intérieur.
Goethe me cherche. Pour quoi ? Encore une caressade virtuelle. Ou parce que maman est chez belle-maman pour la soirée – peut-être ouah ! tout le week-end – heures de débauche en vue. Ce sera sans moi.
Je vous hais, vous tous coincés entre vos fantasmes et votre bonne femme. Pas assez mec pour faire face à vos véritables envies parce qu’elles vont de paire avec des risques trop grands de solitude et d’auto-confrontation.
Je vous hais, vous tous, qui finalement avez choisi le beurre et le cul de la crémière – pour mieux la fourrer ?
Je vous hais, vous tous qui prenez tout en faisant croire qu’il y a une part pour chacun. Alors que non, au bout du compte, vous êtes les grands gagnants.

C’est ce que tu as choisi, Lex, pas vrai ?
Un couple différent, se faisant face, capable de se concevoir comme deux individus, deux entités, c’est ainsi que nous nous voyions. Fiers en plus, et convaincus que nous avions trouvé la voie secrète, la seule, l’unique qui mène à, oh, peut-être pas l’éternité, mais au moins une manière d’épanouissement respectueux, un amour véritable (toc !toc ! c’est creux).
Peut-être que c’est toi qui as eu raison. Peut-être que depuis la naissance jusqu’à la mort, en passant par le premier vertige du monde adulte ou le déchirement d’un énième amour, nous ferions mieux de choisir de meubler notre solitude.

I have been one acquainted with the night.
I have walked out in rain -- and back in rain.
I have outwalked the furthest city light.
I have looked down the saddest city lane.
I have passed by the watchman on his beat
And dropped my eyes, unwilling to explain.
I have stood still and stopped the sound of feet
When far away an interrupted cry
Came over houses from another street,
But not to call me back or say good-bye;
And further still at an unearthly height,
O luminary clock against the sky
Proclaimed the time was neither wrong nor right.
I have been one acquainted with the night.

Robert Frost “Acquainted With the Night”

02/02/2003

E-mail de Nico, incendiaire. Toujours cette vieille problématique selon laquelle je t’écris donc tu dois me répondre. Je m’inquiète donc tu dois me donner des nouvelles – ce que l’on qualifie communément de chantage affectif, non?
Mais:
- Peut-être que je suis occupée par mon taf;
- Peut-être que je suis malade à en crever au fond de mon lit;
- Peut-être que j’ai rencontré l’homme de ma vie et que je vis une idylle folle, loin de tout, de tous.
Nico a toujours de bons sentiments à mettre en avant pour justifier sa sollicitude. Il disparaît des mois mais quand il est là, il faut se tenir au garde à vous au nom de l’amitié.
Heureux temps celui où nous passions nos soirées à zoner, nous droguer et partager les mêmes mecs. Où nos voyages en LSD ou en Thaïlande, nous ramenaient invariablement l’un vers l’autre, amis, complices.
Mon tort – l’un de mes nombreux torts, a été de ne pas vouloir voir qu’il était amoureux de Lex. Un amour de petit garçon, fasciné et néanmoins passionné, terriblement dépendant. Tant que j’étais avec Lex, que nous formions notre couple de débauche, j’étais en quelque sorte le gardien du temple, je garantissais la présence de l’être aimé. Jamais, au grand jamais Nico n’aurait tenté la moindre manœuvre d’approche avec Lex. Le fantasme est tellement bon quand on peut se le garder à portée de main – un joyau dans son écrin.
Il a souffert de notre rupture, certainement, mais tout amis que nous soyons, je n’en ai rien à foutre. Nico a le chic pour tomber amoureux de la personne interdite, celui qui ne lui rapportera que des lots d’emmerdements, qui le traînera dans la boue, lui interdira de sortir-boire-manger-de-la-viande, refusera les capotes, sera marié-deux-enfants, etc. Ses yeux, il ne les ouvre que sur les dépôts qui encombrent, selon lui, son nombril, chouinant parfois, ricanant souvent.
Nico dit: Ça c’est tout moi.
Nico dit: Les pédés, on devrait les mettre dans un camp dont on me nommerait chef. Je ferais installer des backrooms sur casting.
Nico dit: Toi et moi, Louna, on fêtera un jour nos noces d’or.

Aller, je t’aime mon Nico, et pas qu’au fond.

03/02/2003

I heard your voice through a photograph
I thought it up it brought up the past
Once you know you can never go back
I’ve got to take it on the other side
RHCP

Coup de blues du samedi soir. Cette fois c’est moi qui ai appelé Laure. C’était ça ou couler une nouvelle bouteille de Southern. Avec l’alcool, je finis toujours par être encore plus mal. Je pleure devant ma glace, je m’endors par terre, sans compter que le lendemain ça fait mal.
Elle vit rive gauche dans le XVe, sorte de parc à trentenaires comme il faut, avec poussettes 4x4 pour le parc à côté et tout le nécessaire à citymarché fermant – pratique – à 22 heures.
En revanche, pas un bar d’ouvert (en dehors des alentours de cinés), pas une boulangerie digne de ce nom (t’as qu’à citymarcher, on te dit !).
L’appartement est spacieux, des pièces en enfilade, des recoins. Depuis la cuisine (aménagée version bonheur rustique de la ménagère chic), on peut très bien imaginer qu’on est seul au monde ou qu’au contraire, dix personnes vont sortir des chambres, la même chose du salon et du bureau.
Dans la pièce principale, celle qui, traditionnellement donne sur la rue, une cheminée jette ses lumières sur un combiné parquet de lambris chevron canapé en cuir tapis épais, digne des meilleurs numéros d’hiver de Mon appartement parisien.
Au lycée et à la fac, le fossé social entre nous n’existait pas. On s’en foutait. D’ailleurs, en y réfléchissant, et passé le paravent des apparences, on s’en fout toujours. La preuve, les gamins couchés et endormis (sympas les gamins, même pas chiants), on est là, vautrées par terre à se passer un pétard (la fenêtre ouverte, quand même), en regardant des photos que Laure a retrouvées.
Un voyage scolaire de fin d’année, à Berlin.
A l’époque, il y avait encore le Mur.
A l’époque, nous avions toutes les deux les cheveux crêpés comme Robert Smith.
A l’époque, nous aimions cette phrase: «La vraie vie est ailleurs.»
Sur les photos, il fait chaud, nous campons, des tentes de sept huit dans le quartier américain. Un camping au bord d’un lac, infesté de moustiques. Notre prof était un ronfleur. Il n’y avait qu’à tendre l’oreille pour savoir à quel moment nous pouvions filer. Rejoindre la troupe d’Anglais en combi Volkswagen et cheveux longs qui jouaient de la guitare et des percus en fumant.
Laure et moi gloussons, stones. Je fume tous les jours mais d’être stone avec elle, c’est comme si je ne l’avais pas été de toutes ces années.
Tu te souviens de celui qui avait le crâne rasé et une grosse dread-lock. / Y avait pas que la dread-lock qui était grosse.
Et l’autre, totalement défoncé, qui était allongé par terre en train de souffler dans une chambre à air, croyant gonfler son matelas.
Et quand le gérant du camping nous a menacées de nous balancer au prof.
Etc.
On s’est endormies devant les braises et c’est l’air froid entrant par la fenêtre restée ouverte qui m’a réveillée. J’ai tiré une couverture sur Laure. Je suis sortie sans un bruit et j’ai pris un taxi.

04/02/2003

07h55
Mal dormi. J’ai la hantise de cette semaine. C’était tellement mieux Berlin, 17 ans, It was only yesterday Waving arms across the street.

21h22
Déjeuner avec Aurélie, des virgules bleu-gris sous les yeux malgré l’anticerne. Contente d’elle, elle s’est trouvé une nouvelle boîte hard-core, conseillée par Queen Lol. Elle a reçu son baptême samedi. C’était donc ça: elle m’avait proposé, mystérieuse, de la suivre samedi soir.
La soirée en question: elle, nue au centre d’un cercle de «gens distingués», qui parle d’elle comme d’un animal, la font marcher à quatre pattes en laisse, l’oblige à uriner dans une caisse à chat, etc. Puis, l’étape supérieure. On sort du tranquille salon pour aller dans une cave. Ils ne sont plus que trois hommes et une femme autour d’elle, masqués. C’est la femme qui dirige les opérations. Elle attache Aurélie au plafond bas, par les poignets. Aurélie, éprouvée par la séance de I’m your pet, se sent vulnérable et surtout, elle a mal. En me montrant ses poignets abîmés sous le pull à manches longues, elle a pourtant quelque chose de fier dans le regard. La femme la fouette, le dos, le cul, puis lui enfonce le martinet avant de le lui faire lécher. Ça recommence ensuite pour un tour, cette fois sur les seins. Aurélie tombe dans les pommes.
Et?
Et rien. Elle se réveille dans une voiture, un chauffeur la dépose chez elle. D’après elle, aucun rapport sexuel mais une excitation qu’elle n’a jamais ressentie. Je reste de marbre. La première étape de son initiation. Dangereux. Le premier pas sur la voie royale vers l’extase. Je ne te suis plus Aurélie.
Je ne te suivrai plus.
En tout cas, pas sur ce chemin.

La salle de conf est jonchée de valisettes de crèmes, coffret de pierres volcaniques pour le massage, appareils à chauffer la cire, lampes de bronzage portable, prospectus de beauté par les plantes marines, tapis de réflexologie, dosettes d’huile solaire multi-indices (j’en ai piqué un jeu), etc. Carole, soudain pleine d’allant, déballe avec l’une, teste avec l’autre, se fait masser sur une table spéciale (massage californien, annonce-t-elle comme si elle allait dire le bénédicité, I wish they all could be california girls). La réponse à la question du 20 janvier était bien le cul. Sauf que je croyais Carole plus avancée en besogne. Elle s’est ni plus ni moins organisée une sorte de casting sur mesure. Orgueilleuse comme un pou, elle n’a pas dû encaisser de se faire balader par Aurélie (Merde, n’est-elle pas Carole, la redchef de Glitter ?) Et la voici maintenant qui batifole au milieu de petites blondes platine, se régale de mains manucurés, se réjouit des techniques de tatouage au henné. Je crois que c’est la masseuse aux gros lolos qu’elle lorgne, Sylvia. Cheveux à la garçonne, discrète et douce – profil filles.

Pas de Thomas W. (ni de Cyril).
Un papi-taxi qui a appris à conduire il y a tellement longtemps qu’il ne se souvient plus de rien. A part la place du klaxon.

06/02/2003

Chloé ne répond plus au téléphone. Au mag, elle n’a «définitivement pas le temps», elle est «en plein rush», et son portable balance immédiatement sur la messagerie quelle que soit l’heure. Pourtant il y a du mouvement chez Fashion : nouvelle première SR, nouvelle secrétaire de rédaction générale, etc.
Chloé, dis-moi que tu ne m’as pas oubliée ?
Carole est totalement à l’ouest. On la voit au maximum trois heures par jour. «Si vous me cherchez c’est le 3220», le numéro de la salle de conf’, où elle traîne la plupart du temps, sous des prétextes bidons.
Bonne nouvelle: elle pue moins. Toute pomponnée par des mains expertes, elle fait un peu vieille fille dans son tailleur prune mais elle n’a plus cet air de comptable qui se néglige, c’est déjà ça. On peut même l’envisager volcanique sous l’uniforme. Je lui en ai fait la réflexion en plaisantant, et je crois bien que sous les trois couches réglementaires (base, fond de teint, poudre), elle a rougi. J’ai profité de la faille pour lui parler d’un dossier spécial beautés des tropiques que je pourrais lui concocter pendant mes vacances. Pas vraiment le moment, si l’on en croit radio Moquette, mais il fallait que je tente. Y a qu’à voir comment la cote d’Aurélie a grimpé en six mois, alors que la mienne à des airs de Sicav à son pépère. Que je me retrouve enchaînée dans un féminin passe encore, mais il faut au moins que je ne perde pas la main en rédactionnel, que j’ai des choses à montrer si une opportunité ailleurs se présentait («cf. notre dossier: C’est beau de rêver»).
Elle m’a répondu à la Carole version haut des montagnes russes : «Mais c’est une idée foooorrrmidable, il FAUT qu’on te trouve un budget, ma chérie, il nous FAUT les beautés des tropiques pour le double été.» Etc.
Bref, c’est pas gagné.
Mais bordel, quand est-ce que vous allez ME LAISSER ECRIRE?

Ted: My tank is full.
Bill: Do you need a light?
00h10
Avant-première de la reprise de Solaris, avec le beau George. On est arrivées un peu pétées après quelques verres de Pécharmant au bistrot à vin à côté. J’ai plané pendant tout le film – le clou: le dos de George, musclé, galbé, sur mesure pour mes mains. J’en ai encore des frissons.

07/02/2003

Je vais tuer Mimi.
Je vais au moins lui mettre un aller-retour pour que son cerveau se remette en place. Et puis j’achèterai un lot d’aiguille à tricoter que je ferai aiguiser avant de le suspendre au-dessus de sa tête à la place de la traditionnelle épée.
Béa et moi partions bras dessus bras dessous pour une petite demi-heure de shopping (Loft, Irié) sur nos petits trois quarts d’heure de déj déjà entamés quand Mimi nous tombe dessus, en larmes. Bon, OK, épisode détente mort-né.
La brasserie, va pour la brasserie, salade, steak grillé, vanasses du serveur et odeurs de frites garanties, mais faut savoir être bonne copine, pas vrai?
Et nous voici partis pour vingt-cinq minutes de pleurnicheries à base de:
Je ne sais pas comment je vais m’en sortir, mon enfant m’en voudra toute ma vie, et s’il m’arrive quelque chose, pourquoi j’ai pas été fichue de me trouver un mec qui assure, (moi : tu veux dire, pourquoi n’y a-t-il aucun mec qui assure ?), si c’est un garçon, qui lui servira de modèle, je suis en train de produire de la chair à psy (moi dans ma tête: c’est toi la chair à psy), en plus je suis vieille (t’es surtout conne), et si Glitter se casse la gueule (et si on t’en collait une pour t’apprendre à la fermer).
Au lieu de quoi je cale mon air numéro huit, le compatissant, au-dessus de mon assiette, tandis que Béa, bonne pâte, fait la bande-son.
Résultat: dans l’aprem, je m’engueule avec le type de l’imprimerie, Aurélie, la fille de la compta, et une rédactrice qui ne sait toujours pas de combien de signes est composé un feuillet après cinq ans d’ancienneté, combien de n à connasse.

Merde, à la fin, c’est vrai. On ne lui a pas demandé à Mimi de faire un môme toute seule. On n’est même pas ses copines. Avant, je l’estimais pour son boulot, une personne pondérée, responsable. Et il faut qu’elle vienne nous déballer son embryon et ses larmes de mère célibataire, comme si on n’avait pas assez de social à gérer au quotidien. Dans deux secondes, elles nous demande d’être les marraines de ce qui va sortir d’elle.
Je lui ai dit: fais une cure de sommeil.
Je lui ai dit: bois du tilleul.
Et: ça va passer.
Qu’est-ce que je pouvais dire d’autre sans l’insulter?

09/02/2003

La semaine est passée sans:
- un appel de ma mère
- un message de Goethe (vacances scolaires?)
- avoir à composer avec Thomas W sur ma ridicule attitude de la semaine passée.

Cette nuit, je faisais du stop, encombrée par une gigantesque caisse à hamsters de cirque, quand deux véhicules s’arrêtent. Le premier est un coupé sport, le second un van toutes vitres teintées. Qui ne vois-je pas descendre du premier : Sean Connery, époque beau gosse, costume parfait, foulard, barbe taillée, qui dans son plus bel anglais, me demande s’il peut m’aider. You bet ! De là, je suis sur une chaise type dentiste, une dizaine d’infirmières autour de moi, en vert comme dans les blocs opératoires aux Etats-Unis, masquées, lunettes translucides, charlotte en papier sur la tête. Elles s’en prennent à mes poils, mon teint, mon épiderme, les pores de ma peau, mes rides présentes et à venir, mes ongles cassants, ma peau morte et celle qui survit malgré ce que je lui inflige… L’une d’elle dit : c’est la drogue. Une autre, avec des airs de chef, rétorque : vous n’y connaissez rien, c’est le liquide séminal. Je reste parce que je sais que George Clooney ne devrait plus tarder.

Plus tard…

Entre sommeil et joint du matin, des souvenirs et d’amers constats : nos premières soirées avec Laure (cf. cahier 9) sont comme un épisode de La Petite Maison dans la prairie une après-midi d’hiver : chaleureuses, amusantes, espiègles. Nous sommes unies pour les siècles, les siècles. Nous ne nous jurons rien, ne nous prêtons pas de serment. Mais quel besoin quand on suce les mêmes queues, jouit des mêmes mecs et nous écroulons dans les mêmes lits. Dans certains cafés autour de certaines facs, il y en avait pour nous appeler «les sœurs salopes». Nous n’avions que l’embarras du choix, des invitations à ne plus savoir qu’en faire, et, étonnamment, pas forcément orientées culs. Les mecs nous aimaient parce que nous ne faisions pas d’histoire. Dans une ambiance plutôt morose de choix de cursus, de première guerre du Golfe et de post-années 80, nous vivions notre jeunesse dans le grand luxe de l’insouciance.
Rien n’a jamais remplacé cette époque. Quoi que le sentiment de vide est venu bien plus tard. Les plis étaient déjà pris, ils se refermeraient sur moi le moment venu – j’en suis encore convaincue.
Laure disparue, j’ai erré sans peine ni douleur, éprouvant ma solitude comme une sorte de force, détentrice d’un pouvoir qui me plaçait à un autre niveau sur l’échelle humaine – un niveau supérieur, croyais-je.
C’est alors que j’ai rencontré Lex.
Questions:
- Les constats sont-ils toujours amers?
- Le vide est-il un sentiment commun à l’ensemble de l’humanité – ce qui expliquerait cette énergie dépensée à toujours chercher à se dépasser pour rien (dieu/dieux, l’art, l’amour)?

Les Russes dans toute leur horreur. Le ton monte en deux secondes trente, thanks god, les fenêtres sont fermées, mais ça hurle là-dedans, des portes qui claquent, des bris de verre, des pleurs.
Un Uzi, vite.

C’est vrai, il n’y a pas que le sexe et la déprime dans la vie… Il y a les fringues. La sape. Les escarpins à talons qu’on essaie juste pour faire tomber la face de toutes les minettes aux alentours. Et je tourne et je vire sur les douze centimètres, même la vendeuse me regarde en bavant devant mon aisance. Ma jupe est courte, j’en rajoute un peu quand je me rends compte qu’une fille à béret genre école de commerce, vient de faire une réflexion à son mec (moche comme un pou, but who cares), je me penche en avant, pour saisir une chaussure, cul bombé, je m’assois négligemment, jambes écartées. La patronne des vendeuses est gênée, elle aimerait me dire quelque chose mais les pompes valent quand même un quart de son salaire alors ta gueule, morue. La scène se déroulant sous l’œil complice de Laure qui, si elle n’a pas retrouvé toute son impertinence, apprécie à sa juste valeur un peu de provoc.
Bien sûr je n’achète pas ces chaussures – bien trop vulgaires, vous me prenez pour qui? Et nous assistons pliées en deux de rire depuis l’autre trottoir à l’engueulade du siècle entre miss Sois-Cadre-et-Tais-Toi et son acolyte. No sex this week. Le pauvre…
Achats du jour:
- Lunettes de soleil Emmanuel Kahn (je serai la plus belle pour aller me baigner);
- Bas autofixants Dim (lot de trois) ; bas Chantal Thomass satin;
- Benabar, Delerm, Katerine;
- Superstars d’Ann Scott, et Baise-moi de Despentes (un pour moi, un pour Laure; c’est la 3e fois que je l’achète pour cause de prêt éternel).
Et aussi dans un sex-shop new age du côté de la place d’Italie, Toyz X Story.
Dîner tranquille chez Laure. Dire que ses amis m’ennuient est un euphémisme mais ses gamins valent le coup, ils sont dégourdis et ont l’intelligence sociale bien développée. Ils observent et s’adaptent.
Pour ma part, j’aurais volontiers fait un peu de rentre dedans comme au magasin de chaussures, mais Laure ne mérite pas ça. Pas en ce moment. Elle remonte, lentement, est moins amoureuse de son psy, ne pleure presque plus (en tout cas en ma présence), et n’envisage plus de devenir bénévole «pour servir à quelque chose». Elle voit même sa situation sous un angle plus favorable: aisance financière, célibat dans le plus bel âge de la femme, et deux enfants adorables pour les racines et n’avoir rien à regretter. Not bad!
J’évite de mettre sa situation et la mienne dans la balance, mais c’est pas facile. Dans ces moments, je la hais.
Dans le taxi, le chauffeur fume sa Gitane en conduisant. Il braille dans son téléphone que oui, il viendra mais qu’il ne faut pas compter sur lui pour le barbecue.
Un barbecue au mois de février?
Il explique: c’est la deuxième fois que ce pote avec qui il parlait se marie. Il est témoin, il n’a pas le choix, il devra y aller. Mais le barbecue, non, il refuse d’y rester. Moi: «C’est pas commun des grillades sous la neige pour un mariage.» Explications: son pote est un radin confirmé qui a récupéré la robe de sa première femme pour la seconde et détourne saucisses et merguez depuis des mois dans la cuisine indus où il bosse.
Les amis de mes chauffeurs de taxi ne sont pas mes amis.

10/02/2003

Laure, la petite adolescente martyre, bouclée par ses parents, promise à une existence de bourgeoise de bonne famille, a finalement toutes les cartes en main. Plus belle que jamais avec sa longue chevelure brune à la Carole Bouquet, ses hautes pommettes, et son maintien de reine, elle a désormais un corps de femme tout en rondeurs délicates et appétissantes, une distinction à figer sur place la circulation des Champs-Elysées, et la vie devant elle. L’histoire d’amour, elle l’a bue jusqu’à la lie – en l’occurrence deux bambins qui l’adorent, et seront une excellente assurance morale vieillesse.
C’est le moment où je me regarde dans un des miroirs de ce putain d’appart, en me promettant de tous les décrocher. Et qu’y vois-je ? Une étrangère, une fille aux cheveux courts (une femme plutôt, mademoiselle étant devenue une flatterie depuis déjà quelques années) pas vraiment vieille, mais, sans maquillage, plus jeune du tout, le regard vide et le soutien-gorge plein d’une générosité inutile distribuée sans véritable plaisir – quels sont donc ces moments qui n’existent plus une fois qu’on en est sortis ? Un corps, en fait, la seule facilité qui m’ait été accordée, fonctionnant sans entretien particulier (no diet no lipo no sport), résistant à tous les excès, un corps imperméable, dirait-on, à la vie. Pourtant, ironie du sort, c’est moi qui ramasse Laure, moi encore qui essuie ses larmes, profère des encouragements, fais le clown et joue les filles libérées. Alors qu’elle est attendue, je rentre dans ma taupinière, mon cendrier, avec, pour seule compagnie, ma propre image furtive de miroir en miroir, et un énième message de ma mère, boudeuse que je ne lui aie pas répondu sur mon portable.
Voilà ce qui arrive si je mets dans la balance la situation de Laure et la mienne.
Voilà pourquoi dans ces moments, je la hais.

11/02/2003

8h12
La raison pour laquelle j’étais si dark hier m’apparaît ce matin. Et dire que je n’ai même pas profité de mon week-end.
Et dans la catégorie Grands absents, applaudissons un nouveau venu: Lino.

21h23
Aujourd’hui, journée thank you Béa.
Premier épisode : moi à la cafete me maudissant d’avaler mon énième café. Plus d’Advil, pas le temps de courir en acheter – les pharmaciens de cette partie-ci du monde ont des tours de garde dont la logique n’a pas été expliquée au grand public. J’ai demandé aux filles avec qui je bosse. De l’aspirine, c’est le seul mot qu’elles ont à la bouche. Comme si j’étais la seule dans ce mag à passer mensuellement par la case anglais. De retour d’une interview avec Carole, Béa me balance négligemment une boîte de Nurofen sur mon clavier. Plus belle que le plus attendu des dealers.
Second épisode: je me lève, une bouteille d’eau au distributeur, je m’étouffe avec le cachet, pauvre pomme qui ne sait même pas boire, je tousse, tellement rouge je dois éclairer toute la cafete. Et là, parfait le timing, surgissent telle une meute de loups par la chair alléchés, Thomas W et une escorte de mâles flambant les trois K (sans cagoule mais flippant quand même) Kenzo, Klein, Kayiko.
Je pense: J’empeste l’indisposition à trois bornes.
Je pense: L’heure du Jugement dernier est venue.
Et : Good bye cruel world, I’m leaving you today.
Et alors que je m’apprête à une sortie en bonne et due forme du genre prends le carrelage dégueulasse pour un champ de pommes et vautre-toi au milieu des poubelles de gobelets, un bras me rattrape au vol, soutient, une main sur mon front, tiens, bois, ça va?
Ça va Béa, merci.

Troisième épisode : un Mars et un Nurofen plus tard, je peux envisager de supporter Carole. Qui resplendit comme un loukoum qu’on viendrait de repoudrer, maquillée, parfumée, manucurée. L’air d’une gamine dans son propre parc d’attractions. Insupportable, posant mille questions sans attendre de réponses. Objet du jour: le chemin de fer du spécial esthéticiennes. (Respirez, les filles, ça va pas être facile).
Ce qui pourrait prendre une heure, quelques coups de fil auprès des rédactrices et re-une heure, s’envisage vite comme le travail d’une semaine. Il faut faire un tri parmi les filles (pardon, les services proposés), envisager un service phare, un pompon que décrocheront à coups sûr les lectrices les plus soucieuses de leur body. J’envisage les massages en entreprise que fait Sylvia-les-gros-lolos, m’attendant à une approbation de Carole, et surtout dans l’idée de gagner un temps précieux. Mais non, la Reine du Royaume de Glitter hésite, c’est déjà fait, le massage en entreprise, déjà vu. Pas sexy. Et c’est là que Béa a un coup de génie, qui lui présente une Asiatique, recommandée par la femme d’un de nos actionnaires. Une certaine Dixie (eh! c’est tout de suite plus glamour que Delphine). A des années-lumière de toutes les greluches qui ont fait le pied de grue dans la salle de conf. Une bonne quarantaine d’années, hyper-dynamique, hyper-sympa, hyper-la-bonne-copine. Elle a fait dans la desquamation par peeling et le tanning. Elle insiste sur le passé, sous-entendant qu’elle a mieux, mais qu’elle garde ses idées pour certaines oreilles. Bingo ! Carole est hypnotisée, l’œil accroché au décolleté (bien fourni pour une Asiatique), la peau mate, les mains chargées d’or jaune. Elle met un instant à se reprendre et ajourne la réunion. «T’as vraiment besoin d’un chemin de fer pour commencer, Louna?»
Carole ne réapparaît qu’en milieu d’après-midi. Elle s’enferme dans son bureau, approuve par mail nos propositions et s’accorde (je crois) une petite sieste.
Ce que l’on sait:
- Carole a une histoire avec Sylvia-Gros-Lolos (une fille de l’accueil les a vues hier soir, main dans la main, rue Raspail);
- Carole a un faible pour les Asiatiques (sa déniaiseuse était des Philippines, son grand amour, de Shanghai).

Sainte Béa, merci pour cette journée.