lundi

Plus tard

Natacha me propose d’être «l’objet», pour une de ces soirées d’anniversaire qu’elle organise. Voilà exactement ce qu’il me faut: du cul, du vide. Je me pointe donc, à Trocadero, appart de standing au cinquième, vue dégagée et tapis épais. La femme qui se fait appeler Armelle (mais j’ai vu sur un courrier que ce n’était pas son prénom), me reçoit en imper de cuir long et noir, et escarpins. Dans le salon, elle dit: «C’est notre troisième anniversaire de mariage, et j’ai tellement peur de tomber dans la routine.» Nous sniffons une cocaïne qui s’avèrera mauvaise, le truc à vous casser les dents tellement vous serrez les mâchoires. Armelle fait dans l’investissement pétrolier, son type, Erwan, est médecin. Elle dit: «On va commencer sans lui.»
Quand je faisais des soirées anniversaire avec ou pour Natacha, à l’époque, ma hantise, c’était ça : faire l’objet pour un couple à la con. On dit « faire l’objet » pour pouvoir rester dans un champ sémantique cul. A la vérité « faire guignol » serait plus juste. C’est en général à mourir d’ennui car ce sont des couples qui ont zéro libido et ont l’impression, parce qu’ils franchissent un interdit, qu’ils vont d’un coup se transformer en bêtes sensuelles et baiser jusqu’à la mort. (Il n’y a qu’à voir le paquet de coke que s’envoie Armelle.) Mais ça fait passer le temps, c’est mieux que de glauquer entre deux Xanax.
Elle est en catsuit, sous l’imper (elle a décidément mis le paquet), et bon, je me dis, maintenant que j’y suis… Je la caresse, le contact du latex me fait frémir comme à chaque fois. Nous sommes sur les tapis du salon, elle dit: «J’aurais dû être lesbienne», et elle se laisse tripoter par-dessus la combinaison. Ses seins pointent, elle n’est pas désagréable à toucher. Bruit de clés et porte qui claque. Je demande, en référence à ses explications préliminaires : « Tu n’es pas sensée jouer les dominatrice?» Elle dit: «Viens là» Elle m’écarte les cuisses avec une douceur inattendue, glisse sa main sous le string et m’enfonce plusieurs doigts. Ça me calme. Et quand son type entre, il nous voit ainsi, par terre, il en avalerait presque sa clope.
Opération 1, «surprendre son mec», réussie.
Le type qu’elle appelle «mon loup», a l’étincelle dans l’œil, il se déshabille en deux temps trois mouvements, en traitant sa femme de noms d’oiseaux qui ont l’air de l’émoustiller. Elle y va de bon cœur, me doigte en commentant pour son mari à quel point je suis salope et qu’il va se régaler. «Mon loup» est à point, semble-t-il, il souffle comme un bœuf à genoux à côté d’Armelle, ses mains se trimballent tantôt sur l’une tantôt sur l’autre. J’ai du mal à rester concentrée depuis qu’il est là. C’est peut-être sa pilosité qui me rappelle Rob, un duvet épais sur le torse, un début de barbe dur, meurtrissant. Il devrait me faire envie, il me laisse juste songeuse. Je ne mouille plus (ça peut être un effet secondaire de la C), je le sens au contact des doigts d’Armelle qu’elle doit humidifier de salive. Je me dis : aller, un petit effort, juste le temps de se remettre dedans. Mais je n’y arrive plus. Je joue le jeu, je l’ai déjà tellement fait.
Marchant jusqu’au métro, la tour Eiffel pour témoin, je pense à Christine.
Et: au virus que je n’ai pas (encore) contracté (crois-je).
Et: à ce pote de Nico qui, séropositif, ne baisait que sans capote.


Ted: I’m so tired, my mind is on the blink.
Bill: I wonder should I give up and fix myself up.

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