La RH voudrait effectivement voir partir les plus anciens et les plus récents. Priorité leur serait donnée. Et moi, toujours en plein dans le milieu, je fais quoi?
Sur une chaîne du câble, Dixie, la fameuse Dixie, celle que l’on n’affuble pas d’un nom de famille à l’instar de Coco ou Colette (mais aussi Carlos, et Loana). Une fille lookée speakerine moderne, jolie et lisse, l’interroge sur son «concept de complexe multiforme et beauté ». Je passe sur tout le délire «soin fraîcheur des bois, une journée d’été » (comprenez «nettoyage de peau») et «chaleur de l’âtre après la neige» (ou: le combiné sauna douche froide). Dixie joue parfaitement son rôle de femme d’affaires moderne, belle, séduisante, les dents qui déchirent son joli petit tailleur grenat. Avec un rien du mystère asiatique en prime, une moue, un geste dansant de la main. J’imagine Carole, en coulisse, en plein orgasme devant la réussite de sa maîtresse.
Coup de fil de Papa, à trois heures et quelques du matin. Moi, à la fois enfumée et affolée, quoi que je comprends très vite qu’il n’est pas dans son état normal – peut-être une réaction aux médocs, ou trop d’alcool alors qu’il n’en faudrait pas du tout. Quand finalement je comprends qu’on est parti pour un moment dans ses délires, et qu’il me faudra juste être patiente jusqu’à ce que ma batterie lâche, je me mets en pilotage automatique. On passe par la fin de leur relation avec Maman (je court-circuite : «Papa, je t’ai déjà dit, ça ne me regarde pas»), sa rencontre avec Christine, ses regrets de ne pas avoir eu l’esprit entreprenant pour autre chose que le cul.
Puis la révélation. «Il faut que je le dise.» Et: «Il n’y a qu’à toi que je peux le dire.» Ça fait deux ans qu’il baise régulièrement sans capote. Avec certaines habituelles, mais d’autres aussi. Suivent des détails, des justifications, des enfonçages de portes ouvertes (« On n’est plus soi-même quand on arrive à ce genre d’extrémités »), le tout verrouillé d’une mauvaise foi forte d’une bonne cinquantaine d’années d’expérience.
Je pense: Tout ça me dégoûte, Papa.
Et: Et Christine?
Je joue machinalement avec ma bague en argent balinaise (il parle), je me vois le gifler, des allers-retours : un pour chaque fois que, sous prétexte de complicité, tu m’as pris en otage de tes névroses; un pour Christine (il parle); un pour ma mère. Sans oublier: un pour ta connerie et un pour ton égoïsme (il parle). Et: deux ou trois juste pour le plaisir.
Ma bague rebondit sur la moquette, roule sous le lit. Je coupe la communication sans préambule et éteint mon téléphone.
Il s’est tu, et, je me dis que je pourrai bien en éprouver, finalement, un certain soulagement.
I light another cigarette
Learn to forget, learn to forget
Learn to forget, learn to forget
The Doors
La rumeur était juste: les derniers arrivés et les vieux. Plus quelques privilégiés comme le directeur de la rédaction des masculins sports.
Et moi, le bec dans l’eau, prise au piège de Method.
L’adjointe de la RH a dit: «Désolée Louise-Nathalie», et je me suis vue en petite souris, prisonnière d’une confortable boîte avec fromage à gogo et litière renouvelée chaque jour. Elle a ajouté sur le ton d’un secret complice: «En même temps, je ne me fais pas de souci pour toi.» C’était pour être gentille, je sais, mais j’ai eu envie de la torturer jusqu’à ce que ses yeux sortent de leur orbite dans des flots de sang.
Dixit une déléguée CGT, la direction aurait opté pour une politique qui «ne sanctionne pas», favorisant un mouvement interne : genre Louna, tu peux y croire, tu ne feras pas le tour du monde mais ça va bouger pour toi.
Dixit Béa, j’aurais dû abuser de mes relations avec Aurélie. C’est vrai, elle me l’a dit, répété, rabâché, mais merde, je ne vais pas réchauffer mes vieilles coucheries pour des histoires de taf.
Bien sûr, je pepstillerai, le moment venu, sans le sponsor de Method.
Résous-toi, le ciel ne t’aidera pas.
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