lundi

Et...

Aurélie, mon exacte opposée, au top, bronzée, décolleté discret, visage reposé. Elle m’évite: sur les consignes de Philippe G?
Les filles de la DRH me garantissent qu’elles m’ont trouvée très bien lors de ma dernière prestation. «Un peu tendue, peut-être, mais qui ne l’est pas en ce moment.»
Selon elles, radio Moquette est sur le point de disjoncter sous la pression de dizaines de ragots tous plus invraisemblables les uns que les autres.

Le bureau de Carole est fermé, éteint. Béa ne prend même plus la peine de sauver les apparences.
J’ai vomi ce matin. Béa: «T’es pas enceinte au moins?» Moi: «C’est ma manière d’être solidaire avec toutes les anorexiques de cette boîte.»
Il faut que je fasse le test, je n’aurais pas de répit autrement.
Je pense: vacances avec Laure loin d’eux.
Et: pepstillant.
Et: Tu ne vas pas encore tout gâcher.

Je suis sur le point de décrocher mon téléphone pour prendre rendez-vous au labo quand mon mobile sonne. Cette sonnerie.
Mon père a son ton «je vais bien, tout va bien», qui décline les éléments de sa nouvelle vie comme on décrit les pièces d’une nouvelle maison. Il entre dans une existence solitaire, avec appartement pas loin de chez Christine (ils continuent de se voir, la séparation est «surtout symbolique»). L’équipe médicale qui l’entoure est «dynamique et souriante», le traitement «pas si contraignant que ça». Dans deux minutes il me dit que la séropositivité, c’est en fait tout ce dont il a toujours rêvé. Son sacro-saint optimisme. Son je-me-cache-donc-tu-ne-me-vois-pas.
La conversation dure peut-être dix minutes au cours desquelles il ne manifeste aucune tristesse. Il parle, avec nonchalance. Il pourrait aussi bien être en train de me raconter le dernier salon du polar où il est allé, ou la dernière BD intelligente qu’il a lue.
Ce même ton qu’une semaine après le Chariot ailé, alors que nous étions en tête à tête au Bistrot Beauboug. Cahier 14:
«Il est quinze heures passées. Sur la banquette, côte à côte, un vieux couple. Lui suçote plus qu’il mâche ses aliments, et on devine que ça agace sa bonne femme qui lui jette des regards de travers et des moues pincées. Papa dit : “Tu n’aurais pas voulu qu’on finisse comme ça, ta mère et moi?” Il me parle comme si j’avais huit ans et que je venais de lui redemander un tour de manège. Il est presque gai.
Moi, agacée: "Où veux-tu en venir au juste, Papa?"
«Ensuite, son éternelle litanie que rien n’est si grave, au fond, qu’on doive se mettre la tête à l’envers.
«Facile, Papa. Facile pour toi, moine zen dans une autre vie, coureur de jupons dans celle-ci. Pas que je te jette la pierre (je voudrais bien, mais faut être un minimum raccord), mais c’est quand même Maman qui trinque. Je comprends tout sauf ça, ton espèce de zenitude ever.»
En fait de zenitude, une fuite totale et absolue jusque de soi-même, et un refuge dans un égoïsme parfaitement cloisonné.
Le coup de fil de tout à l’heure a achevé de m’en convaincre.

Le premier qui me dit que je ressemble à mon père est mort.
Ted: Would you like to use my loaded gun, Billy?
Bill: You really care, Ted, don’t you?

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