lundi

Dîner avec Papa, et Mado qui se doute de quelque chose, s’interroge sur les réelles raisons de la venue de notre père. La dernière fois qu’il est resté – une nuit – à Paris, c’est parce qu’il y avait des grèves, (cf. cahier 16). Il avait passé la nuit dans un hôtel, il ne m’avait pas appelée, ni Mado. Il ne voulait pas déranger. En vérité, il détestait l’idée de devoir prendre sa part dans le mouvement de cette énorme pieuvre qu’était la ville. Déplacements, évitements, sens en alerte maximale.
Et voilà qu’il était là pour de soi-disant vacances. Papa parti se laver les mains, j’ai demandé à Mado de lâcher Papa, arguant qu’il pouvait quand même prétendre à un peu de tranquillité. Qu’il avait peut-être juste envie d’être présent aux côtés de ses filles, quand, pour l’une comme pour l’autre, le quotidien n’était pas radieux.
Je ne pouvais quand même pas lui dire: «Mado, ton père ici présent est condamné. Séropo. Rongé par la maladie. En sursis.»
Non, je ne pouvais pas.
Après le départ de Mado, Papa, que je voulais emmener au cinéma, au spectacle, en balade, m’a assurée qu’il avait besoin d’être seul. Il marche beaucoup, remonte depuis son hôtel à Bastille jusqu’aux Champs-Elysées ou à Montmartre. Il dit qu’il se soignera (y avait-il une autre option?), qu’il le fera pour nous, ses filles, et aussi pour Christine.
Christine.
Papa baisse les yeux, coupable. Il faudra le lui dire, choisir les mots. Lui faire comprendre qu’ils sont certainement tous deux sur la même barque de fortune, filant vers cet obscur horizon. Et soudain, tout n’est plus si clair. Je suis dans la tête de Christine. J’ai saisi le virage d’une nouvelle vie, demandé le divorce alors qu’il aurait été si simple d’avoir mari et amant. Je me suis mis une de mes filles à dos, mais j’ai recréé un foyer avec l’homme que j’aime. Je me crois à l’abri, ou du moins, j’imagine qu’avec l’âge, cette union sera plus stable qu’aucune autre. Je vis, heureuse, dans mon couple, ma maison, mes petits-enfants dès que possible. Et brutalement, tout explose. Des miettes de bonheur, de stabilité sur lesquelles je pleure et m’interroge, sur lesquelles j’enrage, finalement, quand il faut commencer la trithérapie.
De l’autre côté de la porte vitrée de son hôtel, le réceptionniste dans son mauvais costume tend une clé à Papa. Ils échangent quelques mots, l’homme a l’air de plaisanter.
Avant de disparaître, Papa me fait un signe, et c’est à nouveau la main de ma grand-mère que je vois s’envolant en un dernier adieu.

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